Ⅱ STRONG & YOUNG

Certains disent que Caleb est asocial, certains diront qu’il est fêtard, d’autres diront qu’il est drôle tandis que la plupart diront qu’ils ne savent pas, ou plus. Le blondinet est une personne assez compliquée à cerner, pouvant être froid ou très aimable à la première rencontre, il peut se montrer tout le contraire à la deuxième. Il ne faut pas se faire d’avis sur lui sous peine d’être drôlement choqué par la suite, car monsieur est assez lunatique sur les bords.

Il n’y a pas de gris dans son monde, pas de sentiment quelconque. Il vit à cent à l’heure, sourit comme un gamin devant sa nouvelle console lorsqu’il est heureux. Pleure comme une gamine lorsqu’il est triste. Énervé comme jamais lorsqu’on le cherche un peu trop. On ne sait jamais comment il va réagir, ce qui fait de lui quelqu’un d’imprévisible à l’extrême.  

Toujours dans le feu de l’action, là où il faut quand il faut. Ne demandez même pas comment il se débrouille pour toujours être là où il y a de l’action, c’est un secret (quoi que quelques fois, il est juste chanceux –ou pas-). En général, il aime créer le conflit, voir deux sacs à merde se frapper dessus –parce que oui, Caleb a un langage bien fleurit-, ça le fait bien rire. Voir un proxénète se faire démonter par ses propres prostitués, ça le fait ricaner. Faire chier son monde, ça le fait s’esclaffer.

Alors oui, Caleb peut être sympa, drôle, lunatique, énervant, enjôleur, un aimant à emmerdes, injuste, fier, tout, rien. Mais il est surtout, et quoi que sera son humeur, un gros bâtard de première sans jamais un sous en poche.

Monsieur a une gueule d’ange, monsieur comme un bébé peut montrer en moins de trente secondes une bonne vingtaine d’expressions sur son visage taillé avec le temps. Monsieur blondinet est bien bâtis, il est à fleur de l’âge, il a le physique du boxeur de rue, et c’est parfait vu "sa profession". Les cheveux toujours attachés en une queue de cheval ou une tresse, il aime développer son côté féminin –mais il l’assume pas-. Si vous vous posiez la question de s’il s’est déjà fait traiter de petit soldat à la botte d’Hitler, alors vous ne recevrez qu’un coup de genou bien placé -c’est sa manière à lui de dire que oui-, car être blond aux yeux bleus et dur dans ce monde d’attardés. Les gens se pensent drôles, ça l’est peut-être au début, peut-être, mais après l’avoir entendu des centaines de fois, tout ce que le blond veut faire, c’est un génocide. Un génocide de connard.

Mais en général, les gens n’osent pas l’approcher pour dire de telles débilités, surtout pour ceux qui le connaissent un peu. Caleb est peut-être assez imprévisible dans son genre, mais par sur ce genre de blagues foireuses. En général, ce genre de phrase arrive à foutre son moral à zéro. Et étant assez impulsif, il peut même en venir aux poings –pour changer- pour verser son soul et montrer à quel point cette blague est nulle.

Caleb, il n’a pas de logis. Pas d’endroit où se réchauffer au coin d’un feu après une bonne journée de travail. Il n’a pas de petite famille qui l’attend pour lui souhaiter la bienvenue. Il n’a pas de lit où l’attend une personne qui lui est chère. Il n’a rien. Mais ça lui va comme ça. Il ne demande pas plus que ce qu’il a. Il ne se plaint pas. Il ne se plaint jamais. S’il mène cette vie, c’est qu’il l’a voulu à un moment ou à un autre de sa vie. Alors il n’a pas à se plaindre, parce que tous ses choix, c’est lui et lui seul qui les a fait. Alors, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même si maintenant il vit dans la mouise.

Caleb, un gosse tout à fait normal. Dans une famille tout à fait banale. Une grande sœur avec qui se chamailler du matin jusqu’au soir. Des parents aimants les laissant vadrouiller et faire leurs vies malgré leur jeune âge. Ils n’étaient pas très riches. Ils vivaient dans un petit appartement à quatre. Les parents dormaient sur le canapé dans le salon avoisinant la salle à manger tandis que les deux enfants dormaient dans une chambre. Tous les deux. Ensemble.
Etant habitués depuis leur naissance (quoi que pas Enjy, sa sœur) et étant d’un âge assez jeunes, ils ne se plaignaient pas. C’était même plutôt drôle pour eux de parler de leur journée le soir, sans que les parents n’entendent leurs petites bêtises du jour. Tout allait pour le mieux pour cette jolie petite famille. Chacun partait de son côté le matin, leur père emmenant d’abord les gosses à l’école. La mère travaillait d’arrache-pied pour ne pas perdre sa place. Elle travaillait comme femme de ménage dans une grande entreprise de nettoyage et allait d’entreprise en entreprise pour ranger la merde des salariés qui étaient encore plus crades qu’une bande de maternelle avec de la purée entre les mains. Elle ne se plaignait pas, elle non plus. Elle avait fait le choix d’arrêter ses études lorsqu’elle avait rencontré son mari. Pourquoi ? Aucune idée, seule elle le savait, mais ce qu’elle ne savait pas à cette époque de sa vie, c’est que sa vie n’en serait que plus compliquée et que sa belle vie de femme au foyer ne durerait pas moins d’un an.

Son père, lui, travaillait dans une de ces entreprises agro-alimentaire qui te file de la nourriture à toutes heures de la journée. Appelé plus communément McDonalds ou même McDo, il avait réussi après s’être fait virer de son ancien emploi et malgré son âge avancé, à se faire engager dans cette chaîne. Il avait même réussit à avoir des horaires de jours. C’est lorsque sa femme appris ses horaires qu’elle se dit que finalement, ils étaient peut-être un petit peu chanceux. C’est vrai, ils étaient peut-être pas très riche, mais ils avaient de quoi manger, ils arrivaient à rigoler. Ils arrivaient à vivre.

Ils étaient heureux.

Mais rester heureux est apparemment impossible. Être chanceux ne dure qu’un temps. Et comme on pouvait s’attendre de son père, il ne garda pas son boulot. Alors la mère, elle qui voulait être femme au foyer dans sa jeunesse, elle mit les bouchées doubles. Elle en perdait ses beaux cheveux couleur blé, d’énormes cernes se traçaient sous ses yeux devenus ternes. Sa mère n’était plus qu’un fantôme errant. Un automate rentrant chaque soir pour se mettre finalement directement aux fourneaux. Seule petite joie qu’elle pouvait se faire dans la journée, pour la faire déculpabiliser de n’être jamais aux côtés de ses enfants qui eux faisaient maintenant leur vie. Âgés de douze et quatorze ans, ils ne se rendaient même plus compte de l’absence de leur mère le plus souvent fourrée à son travail pour pouvoir les nourrir.

Mais, plus le temps passait, plus le père fit de longues escapades. Pour finalement, un jour de pluie, partir définitivement. J’vais acheter du lait, qu’il avait dit. Et c’est comme ça qu’il laissa derrière lui, un zombie qui lui servait de femme et ses deux marmo(r)ts (qui pourra comprendra le jeu de mot tout pourri *se retire*). Mais, vu qu’un malheur n’arrive que très rarement seul et que le service de protection de l’enfance n’est jamais très loin, ils vinrent taper à leur porte. La satané directrice, après quelques poses cafés en présence des profs des deux enfants, les avaient appelés, soucieuse de leurs problèmes.

Jamais deux sans trois qu’ils disent.

La mère, trop effondrée par la disparition de son mari ne prenait même plus la peine d’aller travailler. Ne prenait même plus la peine de se nourrir, de nourrir ses gamins, de payer ses factures, ni ses impôts. Au fond du gouffre, les enfants avaient réagi trop tard, n’avaient pas vu la détresse de leur mère. Ils se retrouvèrent bien vite en foyer. Ensemble. Mais pas pour longtemps.

Voilà, vous comprenez enfin que cette histoire n’est pas un conte de fée, vous comprenez enfin que cette fin heureuse que vous attendez n’est que mensonge, que cette histoire ne se finit pas bien. Pourtant, elle n’est pas malheureuse, ou en tout cas, dans le cas du blondinet, elle ne l’est pas.

Vous savez ce qu’on dit des petites racailles. Tous ses stéréotypes, si tu en fréquentes un, il y a des chances que tu te fasses « contaminer », eh bien oui, pour Caleb, c’est ce qu’il s’est passé. Au foyer, on se fait des amis, on voit une fois par mois sa mère, on croise sa sœur de temps en temps, se rendant compte qu’elle s’est fait des extensions avec de l’argent qu’elle n’est pas censé avoir. Puis on suit ses amis, puis on les regarde, puis on commence à les connaitre, puis on essaie de leur ressembler, puis on devient comme eux, puis on vole, puis on se fait chopper, puis on recommence, on se bat, on se fait virer.

Et on ne revoit plus sa sœur, et on change de foyer.

Et on se rebelle pour montrer que non, on n’est pas d’accord. On voit sa sœur grandir, une fois par mois, on voit sa mère vieillir une fois par mois. On se fait d’autres amis, et rebelote, mais dans le sens contraire, ils commencent petit à petit à être contaminer par l’adolescent qui n’a plus rien d’innocent. Comme une infection, elle se repend très rapidement, et une nouvelle fois on le fait changer de foyer. Il est un cancre, il se bat, tout le temps. Il est viré de plusieurs lycée, il galère, toujours frôlant les zéros. Il ne finira jamais ses études, viré une bonne fois pour toute de son foyer à ses dix-huit ans.

Une délivrance ? Peut-être les trois premières secondes.

Sept ans qu’il aire dehors. Sept ans, ça passe vite non ? Eh bien, figurez-vous que non. Lorsqu’on est sans abris, chaque secondes se fait ressentir. Le blond gagne sa croûte en se battant, les parieurs aiment parier sur lui, parce qu’ils savent qu’il va gagner. Caleb n’a presque peur de rien. Comme tout humain, il a peur de certaines choses, comme que le ciel lui tombe sur la tête ou encore de croiser une nouvelle fois sa sœur. De voir dans ses yeux la déception de voir son frère clando.
Caleb est après tout humain, et il n’aime pas décevoir ceux qu’il aime.