Amalthée Merrily-Ann Catherine Roxeburghe

Elle courait.

Elle entendait encore les cris de mécontentement proférés à son encontre. Elle n’était pas encore assez éloignée.

Passé la lisière de la forêt, elle s'arrêta.
Fermant les yeux quelques instants, elle huma avec avidité les senteurs boisées de sa forêt.
"La plus belle de tout l'Ecosse", souffla-t-elle.
Abernethy.

Les chaussures avaient été soigneusement dissimulées derrière un petit buisson. Sa belle toilette de soie fut impeccablement pliée et cachée dans un arbre creux.
Elle avait enfilé une robe de coton légère.
Les leçons de géographie et d'art floral derrière elle, elle marchait. Toujours tout droit.
Ses pieds accélérèrent. Bientôt, ils se mirent à courir.

Elle dévalait la forêt à toute vitesse, poussée par l'adrénaline.

Elle s'écorcha les genoux en tombant. Se griffa les bras contre les ronces.
Elle meurtrissait ses pieds en marchant sur des pierres pointues.
Une chute plus tard, elle se frotta la hanche contre un joli bouquet d’orties.
Amalthée se sentait de plus en plus vivante.
La douleur lui fournissait l'adrénaline nécéssaire pour courir toujours plus vite.

Il observait.

Elle atteignit bientôt son but : une petite mare, introuvable pour ceux ne connaissant pas les lieux. Elle écarta les buissons aussi hauts qu'elle et s'avança.
Se postant devant un arbre, elle prit un peu d'élan, sauta et attrapa non sans difficultés une branche solide.
Elle se hissa, et, une fois assise, plongea sa main dans le tronc creux, récupérant une lettre et une coquette bourse.

...

Combien de soirs avait-elle travaillé ? Combien de nuits n'avait-elle pas dormi ?
Millenium.
Entretien téléphonique passé en catimini. Examens envoyés grâce à une nourrice du gynécée.
Le gynécée.
Cage dorée.
L'enfer de toute une vie. De toute sa vie. Pas d'enfance normale.
Pas d'enfance.

Chez les Roxeburghe, seul le sexe compte.
Malheureusement pour elle, elle naquit fille.
Bonne à jeter.

Elle passa toute son enfance enfermée au gynécée.
Une mère malade, confinée dans ses appartements.
Un père absent ne voulant pas d'elle.

Et.. Rowan. Il fut choisi parmi les garçons de la famille pour lui "tenir compagnie". Pour la "servir".
Doux, gentil, souriant.
Seul lien avec ce qui se rapprochait pour elle de l'extérieur. Il n'était pas enfermé, lui.
Il lui décrivait les villes. La mode de l'extérieur. Le comportement social des gens "normaux".
Internet, les rendez-vous amoureux, la nourriture à emporter..
Trop fantaisiste pour une personne coupée du monde.

Amalthée se droguait.
De livres, de thèses, d'encyclopédies. Des pages et des pages entièrement avalées.
Soif de savoir. Toujours plus.
Elle voulait étudier. Ecrire ses propres thèses. Et côtoyer cette société dont elle ne connaissait rien.

Il fallait quitter le gynécée.
Cage dorée sans avenir.

...

Des bruits de feuillages que l’on écarte se faisaient entendre. Quelqu’un approchait.

Sans attendre, elle lâcha sa prise, se dressa sur des jambes et..
Sauta.
Dans la mare.

Elle attendit, en boule, au fond du point d'eau. Ses oreilles sifflaient. Sa tête menaçait d'exploser.
« S’il existe un quelconque Dieu, qu’il se manifeste !», pensa-t-elle.

Elle vit une silhouette furtive.

Son pouls s'accéléra.
Quelqu’un la tira brutalement de l'eau.
Elle n'eut le temps de faire quoi que ce soit.

"Tu cherches à mourir", avait-il lâché. Il rougit un peu quand il vit l'état de sa robe blanche, devenue transparente au contact de l’eau. Il n’en fit rien, et la colla contre son torse. Et desserra un peu son étreinte.

Elle ne dit rien.
Elle aurait voulu le repousser avec force, mais cette dernière ne répondit pas à l’appel de ses muscles. Elle se dégagea doucement de ses bras et se retourna, comme pour partir en direction de la lisière de la forêt.

Il passa nerveusement une main dans ses cheveux.

« J’ai eu peur. »

Elle s'arrêta.

"Une voiture a disparu. J'ai d'abord pensé que tu avais fui par là... Puis je me suis ravisé. Eh. Je savais que tu passerais pas la forêt d'abord."

Elle se retourna.

"Tu ne peux plus réagir comme cela. Dois-je te rappeler ton rang, tes obligations et ce que tu dois à ta famille ?"
Il parlait fermement. Et fit quelques pas en sa direction.

Il avait l'air contrarié.

"Tu ne peux plus te comporter comme tu le fais. Tu es l'héritière des Roxeburghe. Si quelqu'un te voyait comme ça... A courir entre les fourrés ! Vraiment, fuir le gynécée ! Qu'est-ce qui t'as pris ?! On ne te le pardonnera ja..."

Elle leva les yeux et le fixa. Il se stoppa net.

« Je m'en vais. »

Il fit mine de ne pas comprendre. Mais ça ne marcherait pas, cette fois.

« La voiture. Je m'en vais. » répéta-t-elle avec plus de force.

Il esquissa un geste envers elle ; elle recula.

« Je sais que ton rôle est de servir la famille Roxeburghe, dont tu es toi-même issu. Tu lui dois obéissance et soumission.»

Aucune réaction.



« Mais je n'ai rien choisi de tout cela ! Rien ! Ils ont pris ma vie comme si elle ne m'appartenait pas ! »

Elle parlait de plus en plus vivement. Il fut surpris de la voir si affectée, elle qui était d'ordinaire si taciturne.

« Je sais que d'ici quatre ans, je serais mariée de force dans l'unique but d'assurer la lignée. Et il en est absolument hors de question ! »

Il tiqua. Il était intérieurement boulversé de voir cette jeune femme aux bords des larmes.

« Dis-moi que tu ne me sers pas depuis mon enfance dans le seul but d’assurer aux Roxeburghe une descendance. Que tu n'es pas prévenant, doux et affectueux pour mieux me prendre ensuite. »

Il ne su pas quoi dire. Elle le prenait au dépourvu. Et elle le sentait.
Elle pressentit qu'il allait prendre la parole, et le coupa. Elle attendait une réponse qu’elle ne voulait pas entendre.

« Je pars pour Londres. »

Elle récupéra la lettre et la bourse.

Et elle courut.