Lucien T. Carter

La magnificence d'une tarentule

Me qualifier de beauté froide ou de toute autre chose visant à m'attirer les faveurs de ces dames serait pure calomnie. Je n'ai jamais eu le souhait de l'être, et grand bien m'en fasse. Que pourrait-on retenir de moi, si ce n'est mes pulls colorés, toujours trop amples pour mes os saillants... ou encore cette paire de lunettes aux verres fumés, rondes et parfaitement placées autour de mes yeux noisette. Du reste, mon visage n'est que très peu mis en valeur. Et pour cause, je n'ai jamais entretenu cette tignasse auburn, revêche mais si protectrice. Quant à ma taille, je suis assez petit. Je dirais aux alentours d'un mètre soixante huit. C'est un détail risible, mais tant que je peux attraper des ouvrages à ma guise, je n'ai que faire des critiques déplaisantes. Inutile de m'étaler quant à mon poids et de toutes ces inepties qui troublent plus d'une personne. Je suis moi et c'est très bien comme ça.

D'un naturel étourdi, j'ai pourtant grand plaisir à me fondre dans des livres. Oubliez le stéréotype du rat de bibliothèque car malgré mon inclination pour le savoir, je n'en demeure pas moins un être humain. Aussi, je me plais à sortir, à rencontrer de nouvelles personnes, à discuter autour d'un bon verre d'alcool. Et, pourquoi pas, à finir avec une jolie inconnue pour clôturer cette soirée en beauté. On me dit volage, retenez juste que je n'appartiens à personne, et que celle avec qui je suis s’accommode très bien de cette situation. Les modèles sociaux basiques sont d'un ennui lamentable, et la vie a tant à nous offrir.

Puisque la nature m'a doté de talents oratoires, je suis on ne peut plus sociable. J'aime m'intéresser, découvrir, séduire. Et, pour autant, je reste quelqu'un d'honnête, qui ne fait aucun détour dès lors qu'une pensée me traverse. Cela plaît, cela déplaît, mais c'est ainsi et je n'y puis rien. Aux yeux des gens, je suis la figure même de l'indifférence. Pourtant, il m'arrive d'être révolté, colérique, surpris. Ce sont des sentiments contre lesquels je ne veux pas me battre. Et contre lesquels je ne me battrai jamais.

Voilà pour ce portrait. Il découle de mes quelques observations. D'une longue introspection. Le désavantage de tout cela, c'est que mes paroles sont purement subjectives. Et il n'y a rien de plus embarrassant que d'admettre notre manque de recul.

Fort heureusement, un homme est irréductible et je peux m'étaler à ma guise. Je vais donc aborder un point qui me tient particulièrement à cœur : la littérature. Je vous parlais plus haut de livres et de ma soif inépuisable de savoir. Or, l'on pourrait se demander ce qui m'attire particulièrement dans cet art monumental qu'il m'arrive bien souvent de sacraliser. J'apprécie plus que tout la plume de Lovecraft. Ses quêtes dans l'onirisme, ses créatures horrifiques et descriptions garnies élève mon âme. De sorte qu'une fois ma lecture terminée, je me trouve en extase. Jusqu'à ce jour, il est le seul auteur capable d'un si beau prodige. Même si je me plais à parcourir des thèses freudiennes ou des pièces parodiques. Voilà là la source de mon engouement pour une filière telle que lettres modernes. Pour le meilleur comme pour le pire.

Un détail peut tout changer

Je vins au monde comme l'on respire. Naturellement et sans effort.
Mon père occupait un poste dans l'armée. Quant à ma mère, elle fit en sorte que, jamais, je ne puisse manquer d'amour.

Belle naïveté que celle-ci. Une mère ne remplacera jamais un père tout comme un père ne remplacera jamais une mère. C'est un fait indiscutable et j'en fis les frais.

Je passai par toutes sortes de phases. Des paradis artificiels aux délits de jeunesse. On ne craint rien venant d'une femme si douce et qu'est-ce que peut un militaire lorsqu'il n'est qu'une tâche dans l'ombre ?

Ce qui me sauva, ce fut sans doute le peu d'esprit qu'il me resta. De sorte qu'à 18 ans, je m'intéressai à ma première oeuvre. Son titre importe peu, puisqu'elle ne me fit jamais écho. Seulement, elle éveilla en moi un désir insoupçonné : m'échapper à travers les mots. Bien vite, les soirées fiévreuses se firent remplacer par les sinistres murs d'une bibliothèque. Ils avaient pourtant une étrange douceur dès lors que je lisais. Ces habitudes régulières réconforta ma mère qui m'offrit mon tout premier journal. Je l'acceptai même si je ne voyais aucune utilité à la narration de ma vie si monotone... et si dénuée d'intérêt. Pourtant, je l'écoutai et y consignai scrupuleusement chacune de mes aventures littéraires.

On ne peut juger la puissance d'une plume que lorsque l'on en est soi-même l'instrument. Et c'est ce qui, finalement, me délivra. Je devins une toute autre personne et, progressivement, me détachai de tout ce qui me liait encore à ma précédente vie. Cela influa durablement mon parcours scolaire et je pu prétendre, dès l'âge de 21 ans, à l'université Millenium.

Le jour où je quittai les miens arriva et, avec lui, l'envie irrépressible de me confier.

"Papa. Maman. Merci. Malgré mes faux pas, vous m'avez accordé une nouvelle chance et, avec elle, un endroit pour vivre et étudier. Je vous serai reconnaissant, soyez-en certain. Vous laissez partir un enfant en quête de vérité. Mais je reviendrai, plus digne de votre confiance."

Des perles vinrent caresser les joues de ma mère. Mon discours l'avait touché. Mon père, quant à lui, restai de marbre. L'endurcissement d'un militaire le transforme en roc, en roc solide. Toutefois, une lumière vint à poindre dans ses yeux noir. J'y vis de l'espoir. Mais plus que tout, j'y vis de l'amour. C'est ainsi que je quittai mon foyer. C'est ainsi que commença cette lente progression vers un avenir nouveau.

Derrière l'écran

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