“ À chaque enfant qui naît, le monde recommence.”
La lune illuminait et le ciel était sombre, sans nuages pour troubler sa sérénité. Les étoiles brillaient de mille feux dans l’obscurité. L’air était glacial alors qu’un léger vent s’engouffrait dans les ruelles. Il était tard et tout était silencieux, aucune lumière excepté celle des lampadaires du quartier calme et aisé. Aucune excepté celle d’une grande maison, dont une lumière diffuse se propageait depuis une des fenêtres du premier étage, tamisé par des tentures couleur bleu ciel.
Une jeune femme à la peau claire serrait les draps alors que deux infirmières s’affairaient autour d’elle. La plus âgée était d’ailleurs en train de virer un homme habillé d’un uniforme kaki de la chambre sans ménagement alors que l’autre tentait de rassurer la future maman. Une fois sa besogne faite, elle s’assura de mettre une chaise devant la porte pour éviter toute intrusion intempestive avant de se concentrer de nouveau sur la jeune femme.
La tâche allait être compliquée mais l’événement si beau qu’elle ne voulait y penser. C’est pour cela que Liliana, vingt-six ans, souriait malgré la sueur qui perlait de son front et les douloureuses contractions. Bientôt, dans quelques heures, elle verrait son enfant, son doux et aimé enfant.
Deux heures plus tard, à trois heures moins le quart du matin, un petit garçon de deux kilos cinq naquit, faisant ainsi le bonheur du jeune couple… et de ses grands-parents… Qui, pendant que leur belle-fille était en plein travail, avaient passé leur temps à se disputer sur une question hautement scientifique sous le regard sérieux et inquiet de leur fils Ange. La question relevant autant de véhémence de la part du couple âgé d’une soixante dizaine d’années était : la couleur des couches, bleu ciel ou vert d’eau ?
Liliana ne vit jamais la petite tête blonde de son bébé tant attendu...
“Toute sa vie l’on doit être un enfant.”
Huit ans passèrent entre Italie et Russie, entre chant et rire. Il apprit donc à chanter avec sa grand-mère cantatrice italienne et à jouer du piano avec son grand-père russe… Une jolie dissonance de son que les grand-parents maternels et paternels se disputaient. Car si nous étions sérieux en Italie… C’était bien le contraire en Russie mais au moins, on apprenait à jouer du piano avec les orteils et même si c’était insupportable à entendre, on s’amusait. Puis il fut aussi un cas en flûte traversière, à l’aide de parfum arrière… Mais c’est une histoire que le petit Lisitsa préférait ne pas trop ébruiter. Du moins autant que possible au vu de l’odeur suivant ladite histoire…
À l’âge de dix ans, un drame apparut dans la vie du petit. Aussi rapide qu’un éclair et aussi triste qu’une nuit sans étoile. Ark subit le baptême de la machine à laver par essorage suprême. À son âge, cela lui fut fatal. Lisitsa dut donc faire le deuil de son renard blanc en peluche et lui joua un air de violon. Correctement cette fois...
Le lendemain de ses dix-huit ans, entraîné par son père haut-gradé du régiment Russe d’Opération Spéciale, il s’engage dans la Spetsnaz (groupe d’intervention spéciale) militaire. Pour lui, cela a toujours été la suite logique en voyant la carrière de son père qu’il prenait pour un héros. Un militaire souriant qui n’aime pas combattre et voulant semer la paix. Cela le rapprocha par ailleurs de son père qui n’avait toujours été que peu présent bien que leur relation eût toujours été très fusionnelle.
Deux ans après, il la rencontra. La douce lumière qui emplit sa vie. Sur le lac gelé Baïkal, une journée froide de décembre. Elle regardait le ciel, fusillant le soleil du regard en étant assise sur la glace. Il fut comme envoûté, un véritable coup de foudre. Il lui tendit la main… elle la prit… et ils ne se quittèrent plus, un vrai coup de foudre. Il avait vingt ans et il était heureux. Plus que tout.
L’année de ses vingt-deux ans fut une année de célébration et de deuil aussi. Lui qui avait toujours été sérieux et calme depuis son entrée à l’armée, il promit à son grand-père paternel de faire un peu plus de farces et de s’amuser. Grand-père qui s’éteignit deux heures après la promesse faite à son grand-père. Il lui joua donc un air de piano… avec les pieds.
Sa formation terminée (qu’il préfère sortir de son esprit à cause de la difficulté et de la rudesse pour rester politiquement correct) -et aussi à cause de son intransigeant père qui lui collait aux pieds- il reçut son affectation dans le GRU (Direction générale des renseignements de l'État-major des forces armées russes et soviétiques ) contrôlé par son père spécialisé dans la lutte contre les actes de sabotage, d'élimination de chefs ennemis, prise d'objectifs stratégiques, reconnaissance, lancement d’armes nucléaires, terrorisme... Enfin, au moins il a appris à bien jouer avec sa langue dans plusieurs pays. Oui, qui dit forces spéciales sadiques et monstrueuses, dit polyglotte...
Il épousa sa douce Yuna, son monde, la seule personne avec laquelle qui il oubliait tout le reste et parfois même les terreurs qu’il voyait avec son métier. Elle était son pilier. Sa vie depuis qu’il l’avait rencontré deux ans auparavant.
“ Dessine-moi un bébé ! ”
« - Lisitsa, fais-moi un bébé.
- ... Pardon ?
- C’est un ordre.
- D’accord. »
Ce fut un an après leur mariage dans la salle de musique de la maison d’enfance de Lisitsa avec la grand-mère écoutant aux portes accompagné de son père qui cracha sur la porte, derrière laquelle il était caché, le reste de son Whisky.
Neuf mois plus tard… Beaucoup de choses se passèrent. Ce fut un dix-huit novembre, une date que Lisitsa n’oubliera jamais. Alors que sa Yuna accouchait, lui était en mission spéciale, une mission qui se passa mal… très mal. Son équipe ne parvint pas à atteindre son but et beaucoup des trafiquants qu’ils auraient dû arrêter de manière définitive s’enfuirent. Ils avaient toutefois tué leur chef, un mal pour un bien… en quelque sorte… beaucoup de ses coéquipiers étaient morts ce jour-là…
Quelques mois plus tard, sur une coupure de journal on pouvait lire… Suite à un raid de l’armée Russe sur un gang de trafiquant d’armes ayant mal tourné, les survivants du gang ont pris en otage et assassinée la femme d’un des militaires ayant participé au raid. Selon des témoignages, la jeune femme aurait suivi sereinement ses agresseurs sans leur opposer de résistance.
La jeune femme en question, Yuna Aliyev était française, installée en Russie depuis cinq ans seulement et été mère d’un jeune enfant de quelques mois… Son mari n’a pas voulu témoigné et, selon l’armée, a mystérieusement disparu.
“Le chaos est rempli d’espoir parce qu’il annonce une renaissance.”
On lui avait retiré son soleil, sa raison de vivre. Il ne voulut donc une seule chose : se venger. Son père lui demanda de se calmer, de rester pour l’enfant qu’il avait eu avec elle et qu’elle avait eu le temps de mettre en sécurité, mystérieusement. Mais il refusa. Elle avait su ce qu’il allait arriver et elle n’avait pas cherché à l’éviter, il voulait savoir pourquoi. Il voulait la venger autant qu’il la haïssait à présent, sa Yuna.
Il déserta et quitta le pays… Il abandonna son prénom, prenant celui de sa femme. Il ne voulait pas l’oublier, jamais. Et prit le nom de Faust, « heureux » en latin. La blague lui convenait parfaitement. Le changement d'identité s'effectua rapidement, en tant que déserteur il ne tenait pas à se faire massacrer par l'Armée Russe et ses forces spéciales. C’est son père qui l’aida à cela… son père et un ami commun qu’ils avaient. Un ami qui avait une petite fille que Yuna -car tel était désormais son prénom- considérait comme sa petite sœur pour l’avoir soutenue et gardé un long moment quand il était encore adolescent. Il resta un moment avec eux… assez longtemps pour découvrir que sa « petite soeur » si mignonne était en réalité qu’un sale gosse insupportable. Et ce fut le choc, un assez violent choc qui le remit en question. En quelque sorte.
Il les quitta et partit dans le pays de naissance de Yuna, se lançant dans les études pour devenir chirurgien, les études qu’elle était en train de faire. Il voulait réaliser son rêve, il était Yuna lui aussi maintenant après tout. Même s’il la détestait à présent… toujours autant qu’il l’aimait…
Mais aussi, les études de médecine l’aiderait certainement à garder un œil et soutenir cet imprudent et imbécile de gamin inconscient aux cheveux blancs plus longs que celui des princesses en détresse dans les animés et autres contes.
Une aire de jeux, une nouvelle vie, un nouveau caractère… toujours les mêmes souvenirs, le même objectif. Douze ans passés entre la France et l’Amérique pour ses études, parfois -peut-être trop souvent- l’Angleterre pour réparer un Catherina qui s’est fourré dans quelques ennuis divers et variés. Durant ses années d’études, il fit la connaissance d’Alysse. D’abord camarade de classe, puis amie avec qui il fait les quatre cents coups à l’école. Elle est un peu plus jeune que lui mais ils s’amusent bien, ils ne se quittent pas, ils vivent ensemble. Elle s’occupe de lui…
“Chaque homme cache en lui un enfant qui veut jouer.”
Les études sont finis mais un nouveau jeu commence. Le sale gosse est trop imprudent et l’avion, c’est fatigant. Il n’aime pas l’Angleterre, il déteste la pluie et la brume qui fait coller les vêtements… mais il déménage quand même.
Les cailloux sont petits et ronds et il trébuche toujours dessus entre deux câlins avec un lampadaire. Mais tout va bien, il joue des mauvais tours avec Alysse en respectant la promesse à son grand-père. Il sourit et rit comme il a promis à sa femme.
Il n’a jamais revu son fils qui a douze ans à présent… mais tout va bien… tout va très bien puisqu’il peut jouer. Et les jeux sont toujours très amusants, surtout les jeux de vengeance, bien installé dans son canapé accompagné d’un plat de macaronis à la sauce tomate et d’un air de violon.