Laura rentra chez elle en trainant les pieds. Elle lança sa besace sur son lit défait et ferma la porte derrière elle en un coup de pied. Cette journée avait été bien trop longue à son gout… Ça ne faisait pas longtemps qu’elle avait commencé ce job, mais elle se demandait déjà combien de temps elle allait pouvoir tenir. C’était dans ces moments là ou elle regrettait presque d’avoir quitté l’appartement de sa mère précipitamment, et puis lui revenait en tête toutes les raisons pour lesquelles elle avait fait ça, et les doutes disparaissaient instantanément !
La jeune femme sortie une bouteille du seul placard de sa kitchenette et en versa un fond de verre avant de rajouter du coca qu’elle venait d’acheter. Son regard se dirigea d’abord vers son lit où trainait son sac et tout un tas de vêtements et de bouquins puis sur son canapé envahit, lui aussi, de tout un tas de bric-à-brac. Elle déposa son verre sur l’unique table de la pièce, emballa toutes les affaires qui trainaient sur son lit dans sa couette et posa le tout au pied du lit avant de s’écrouler sur ce dernier. Elle tendit le bras dans un ultime effort pour attraper son verre et un fois que l’épopée larvesque de mademoiselle fut terminée elle le porta à sa bouche. L’odeur du whisky vint lui caresser les narines, elle se sentait déjà mieux.
En balayant la pièce du regard, Laura tiqua sur une photo qui dépassait de l’arrière d’un meuble. On y voyait une jeune femme rousse et un homme souriant, tenant un enfant dans leur bras. C’était l’unique souvenir qui lui restait de sa grand-mère, Lucy. Doucement, elle se laissa emportée par ses souvenirs et la douce chaleur qui se diffusait dans sa gorge et son ventre.
Lucy était irlandaise. Avec sa famille, ils avaient immigrés à Londres, dans le quartier de Notting Hill, quartier principal des immigrants dans la première moitié du 20ème siècle, bien moins charmant qu’on ne le connaît actuellement. Laura se souvenait comment sa grand-mère lui avait raconté son arrivée en ville, à quel point ce changement l’avait effrayé au début et puis comment elle l’avait abordé par la suite :
" C’était devenu mon nouveau terrain de jeu ! Il s’agissait de découvrir, et d’apprivoiser ce nouvel environnement. ". Elle l’admirait tellement, cette femme qu’elle avait peu connue. Elle était vive et pétillante, avec un caractère extravagant et bien trempé qui avait inspiré la jeune fille. Mais elle avait également cette douceur et cette tendresse dans les yeux quand elle regardait Laura, proche de celle d’une mère. Du moins c’est que Laura se disait.
Cette femme qui l’avait inspirée avait rencontré un jeune homme anglais, fils d’un commerçant du centre alors qu’elle même vendait des fleurs dans une petite boutique tenue par une amie. Leur histoire avait alors commencé dans les règles de l’art, le jeune homme était même allé demandé la permission au père de famille de fréquenter sa fille, ce à quoi le père de Lucy, avait répondu en riant :
"Mais jeune homme, ce n’est pas à moi qu’il faut demander ! ", avant de lui mettre une grande tape dans le dos ! Laura aurait tellement aimé les rencontrer, elle avait rit à ce passage de l’histoire.
Quelques années plus tard était alors né un petit garçon, qui devint lui même père, des années plus tard et donna naissance à une charmante petite boule d’énergie répondant au nom de Laura.
La petite fille qu’elle était à ce moment là aurait pu écouter l’histoire des centaines de fois, en contemplant les cheveux roux, fraichement brushingué de cette grand-mère qu’elle aimait trop. Et qui mourut quelques mois plus tard.
Un caillot lui avait-on dit. Qu’on ne lui aurait pas retiré durant une opération qu’elle avait subit quelques semaines auparavant. Laura n’avait retenu qu’une chose, prise de douleur à la suite de cette opération, sa grand-mère s’était rendue à l’hôpital. Elle n’avait pas était prise en charge, avait attendu des heures et des heures durant. Elle était décédée dans la salle d’attente.
La colère qu’avait éprouvé la petite fille à cette annonce fut terrible. Elle s’enferma dans sa chambre et saccagea tout ce qui lui tombait sous la main. Elle se défoula ainsi pendant presque une heure. Elle aurait voulu qu’on vienne la chercher, qu’on lui explique, qu’on la console, qu’on la serre dans les bras. Mais il n’y avait que sa grand-mère qui faisait ça avec elle. Et elle était morte.
Alors elle s’assit, seule, au milieu du désordre et pleura.
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Laura ramassa la photo derrière la commode et la punaisa au mur. Elle ne voulait pas oublier. Elle porta son verre à ses lèvres et s’aperçu qu’il était vide. Elle repris la bouteille et versa du liquide mordoré sans faire attention. Elle ouvrit son mini frigo désespérément vide :
"Les courses ma veille, va faire les courses."
Sur ces bonnes paroles elle renversa la tête en arrière pour finir son verre d’une traite, fouilla dans sa couette pour retrouver son sac et parti en claquant la porte.
Arrivée à la superette du coin de sa rue, Laura attrapa un des paniers à l’entrée et traîna dans les raillons sans rien prendre pendant près de 10 minutes. Lorsqu’elle se rendit compte que remplir son panier irait plus vite si elle mettait des choses dedans elle s’ébroua, comme pour se réveiller et se mis en quête de tout un tas de cochonnerie : chips, pizza, gâteaux apéro en tout genre étaient la base de son alimentation, de temps à autre elle se prenait des crudité pour se donner bonne conscience et parfois même, elle cuisinait. Mais ces moments étaient devenus bien trop rares. Et de toute façon, elle ne prenait pas un gramme alors à quoi bon faire attention?
« Tu dis ça maintenant, alors que tu es encore toute fraîche et pimpante, mais ça ne dure pas éternellement, quand tu aura des rides et de la cellulites plein les cuisses, ce n’est pas à moi qu’il faudra venir te plaindre ! »
Cette phrase résonna dans sa tête, criarde et vicieuse. Sa mère lui avait déclaré ça alors qu’elle n’avait que 15ans. Et c’était sans arrêt comme ça. Laura n’avait jamais été assez bien pour sa mère, et celle ci ne s’était jamais vraiment intéressée à Laura. La jeune fille avait longtemps pensé qu’il s’agissait d’une pudeur particulière, d’une femme élevée dans un milieu social différent et malgré le fait qu’elle l’ait quitté pour suivre son mari, il lui restait certaines habitudes. Oui, Laura se répétait ça sans cesse autrefois. Sa mère l’aimait, c’était obligé, non ? Elle ne le montrait pas, elle ne le disait jamais, mais c’était évident, non ?
La jeune fille avait arrêté de se poser toutes ses questions à ses 16 ans. Lorsque son père quitta la maison, sa femme et Laura par la même occasion, ne pouvant plus supporter la froideur, la fermeté et l’apathie de son épouse. Ce départ avait d’abord brisé le cœur de notre demoiselle. Elle n’était pas beaucoup plus proche de son père, mais c’était à lui qu’elle ressemblait le plus et grâce à lui qu’elle survivait dans cette maison. Il ne lui avait même pas proposé de venir avec lui, il l’avait juste abandonné à son sort avec la porte de prison qui lui servait de mère.
Oui, vraiment, ce souvenir avait un gout bien amer.
Laura appris bien plus tard qu’il y avait une autre femme dans l’équation. Et celle ci ne voulait pas d’enfant. Ah ben oui, tout devenait plus limpide d’un coup. Disons les choses comme elles sont et excusez moi ce langage charretier mais un homme avec les couilles au bord de l’explosion qui a le choix entre reprendre sa liberté avec une donzelle prête à les lui vider ou rester avec une frigide psychotique et une gamine en pleine puberté… la décision fut sans appel pour notre pauvre ami.
Après le départ de son père, si on pouvait appeler ça comme ça, l’adolescente qu’elle était à cette époque prit elle aussi une décision importante et sans appel, finir sa scolarité obligatoire et fuir. Fuir le plus vite possible de cette maison froide, sans amour ni affection, sans attache ni joie, cette femme qu’elle n’avait jamais considéré comme sa mère et qui ne ferait sans doute rien pour la retenir et prendre enfin sa vie en main, profiter, rire, sortir, vivre avec des petits boulots, avoir son appartements, rencontrer des mecs et rencontrer des filles, danser et vivre ! Vivre jusqu’à en crever !
Chose dite fut chose faite. Pendant sa dernière année scolaire, Laura commença à prévoir les moindres petits détails à régler pour pouvoir vivre de façon indépendante. Elle s’accorda deux mois de prison supplémentaire à la fin de sa scolarité afin de récolter assez d’argent pour se trouver un studio, payer la caution, les courses, le mobilier et les transports éventuels ainsi que les charges. Elle trouva donc un job à la fin de son année, et commença à éplucher toutes les annonces de logement dès qu’elle rentrait chez elle. Quand sa mère n’était pas là, elle en profitait pour mettre de côté une petite serviette, une taie d’oreiller qu’on utilisait presque plus, un assortiment de couverts de l’argenterie qu’on ne sortait jamais. Et petit à petit, Laura se constitua son petit trousseau. Toutes les économies étaient les bienvenues vu les prix des studios à Londres. Ses recherchent prirent tellement de temps qu’elle du allonger sa peine d’un mois supplémentaire. Mois dont sa mère profita pour un bon petit lavage de cerveau à coup de « Tu finira comme ton père… une bonne à rien… Et les études alors ? Mais qu’est ce que j’ai fais de travers… Tu vois, je te comprends…
- Nan Maman, tu ne m’as jamais comprise et tu n’as jamais cherché à le faire. Pire, tu ne m’as même jamais accepté.
- Mais oui jeune fille, tu as bien raison, dramatisons la chose ! En attendant tu m’as coupé la parole ! Je disais… Je te comprends, je suis partie vivre avec ton père sous les avertissements de ma propre mère que j’ai refusé d’écouter et regarde ou j’en suis !
- Une vielle folle frigide au cœur de pierre abandonnée et fuis par son mari et sa fille ?
mère ne prit pas la peine de répondre, pinça les lèvres et tourna les talons. Ça devait être ça le plus frustrant, ne même pas pouvoir se disputer, ouvrir les vannes et tout balancer, comme si elle faisait tout pour anéantir la moindre petite liberté.
Cette fausse dispute avait cependant un point positif que Laura découvrirait par la suite. Prise d’une envie soudaine de prendre l’air, la jeune fille était sortie sans demander son reste, était allée jusqu’à faire un tour dans Camden Town, sont quartier favori de Londres. Elle adorait les devantures colorées aux noms tordus et les gens au style dépareillé qui s’y trouvaient. C’était comme une bulle d’oxygène, comme si on venait lui dire que tout était permis. Elle se rendit d’ailleurs dans un pub, où son jeune âge aurait du l’empêcher de rentrer, dont le gérant s’était pris d’affection pour Laura et l’accueilli une fois de plus en tonitruant à travers la pièce :
« Ma Laura la rouge ! Viens dont là ! J’en ai une bonne à t’apprendre ! »
Il lui servit un soda et vint s’asseoir à coté d’elle, accoudé au bar.
« J’ai réfléchi depuis que tu m’as parlé que tu voulais quitter le nid. Du coup j’ai demandé à Richard si la chambre de bonne du dessus on s’en servait encore comme stockage et en fait elle est vide. C’est pas très grand et ça doit être tout crade à l’heure qu’il est, et en plus c’est juste au dessus du pub donc le soir j’imagine pas le boucan et l’odeur, mais si jamais ça t’intéresse c’est pour toi, à 250 Livres par mois. »
Laura ne prit même pas la peine de répondre et elle lui sauta dans les bras, lui donnant un coup dans le menton au passage.
« Eh du calme, si j’avais su que tu boxais, je t’aurais trouvé un truc plus classe », s’esclaffa Thomas, nouveau sauveur de notre condamnée avec sursis.
Laura trépigna avec force et raison pour que ce géant de Thomas lui montre tout ça. Il délégua le service à son collègue quelques minutes, le temps de lui montrer sa nouvelle tanière. La porte fut à peine ouverte que la jeune fille se précipita dans la pièce, ses yeux brillant d’excitation :
« Ça roxe grave du poney Tomy ! T’es mon chevalier rose !
- Ton chevalier rose ?
- Ouais, ou blanc, ou bleu, ou vert, comme tu préfères ! T’as même le droit à une armure si tu veux ! C’est juste carrément trop cool ! »
En soit la pièce était assez spacieuse lorsqu’elle était vide. Un grand velux éclairait bien l’ensemble, il y avait un meuble de cuisine, avec un évier et deux plaques électriques et un placard imbriqué en dessous et par chance pour une chambre de bonne, la salle d’eau se trouvait dans le studio en lui même et non sur le palier. Tout cela sans la poussière et avec une jolie déco et Laura s’imaginait déjà son nouveau coin de paradis !
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Avec morceaux ou sans ? La jeune femme choisie la soupe sans morceau. Lorsqu’elle pensait à son appartement à présent, entre l’odeur de bière et de clope du pub et le bazar qui y régnait, elle était loin de se dire que c’était un « coin de paradis ». Cependant ça lui convenait, elle y vivait bien, y était totalement elle même, sans règle ni contrainte. Même si elle commençait à se dire qu’il fallait peut être qu’elle s’en impose… C’était le seul inconvénient de s’être déclaré indépendante assez tôt, elle ne s’était fixée aucune limite.
A la suite de son emménagement elle avait continué son travail d’été en superette, elle en avait profité pour voler quelques bouteilles au passage afin de faire sa pendaison de crémaillère avec ses amis du moment. Évidemment elle s’était fait prendre, et renvoyé sur le coup. Mais par on ne sait quel tour de passe-passe elle avait réussi à garder la plupart des bouteilles, prétextant qu’elle n’avait volé uniquement les deux qu’elle venait de rendre. Elle connaissait ses supérieurs, ils ne vérifiaient jamais l’inventaire, c’est bien pour ça qu’elle avait tenté le coup. Elle n’avait pas trop tardé à trouver un autre job dans un service de livraison à vélo, mais n’avait pas fait la fête par précaution, autant assurer ses arrières. Elle était un peu bordélique et pas très raisonnable mais pas totalement idiote.
Elle avait alors erré de petit boulot en petit boulot. Thomas son bienfaiteur l’avait même embauché en temps que serveuse lorsqu’elle eu l’âge requis.
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Laura reposa sa boîte de feutre dans son compartiment /Mais qu’est ce que tu fous, tu dessine même pas, serpillère délavée va/. Elle ravala les larmes qui lui montaient à la gorge.
Thomas avait été victime d’un lourd accident de la route l’année dernière. Il n’avait pas survécu à ses blessures. Le bar avait fermé ses portes peu après et ils avaient cédé le bail à un autre gérant avec qui Laura avait des relations plus que distantes.
Son bon géant lui manquait. Terriblement.
Elle était même allée à son enterrement, déposer des chamallow sur sa tombe, il adorait ça… Mais personne ne la connaissait, ils avaient ramassé le paquet de chamallow, lui avait remis entre les mains et l’avaient chassé de la cérémonie.
Elle était revenu plus tard, seule et avait déposé son paquet en silence.
Quelques minutes après, elle avait reçu un appel de son nouvel employeur, c’est bon, elle était prise en tant que surveillante au lycée situé à côté de la fameuse Université Millénium. Joie et bonheur, elle allait pouvoir se coltiner tous ces gosses qu’elle ne dépassait même pas en taille et qui allait lui faire vivre un enfer.
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Lorsque Laura eu fini ses courses, ou plutôt ses réserves de sucre et de gras pour le mois, elle s’affala sur son lit, encore un peu sous les effets de l’alcool et nostalgique d’avoir pensé à Thomas et s’endormit sur ces mots :
« La vie est affligeante de banalité. »