I’d rather drown

« Taylor ? Rien de particulier. Il a voulu devenir chanteur, danseur, acteur, professeur… Pratiquement tous les trucs en « eur », en fait. Voire même plus. Maintenant, c’est devenu une espèce de loque humaine. Il traine souvent du côté du bar – et en plus, il fait peur aux lycéennes. Un vrai débris – on aurait pu croire qu’une fois la trentaine passée il allait se poser, se trouver un vrai travail. Mais non – il a préféré sombrer dans l’alcool, la drogue, ce genre de truc. Il disait qu’il préférait couler plutôt que devenir un « adulte convenable ». Je suis même étonné qu’il n’ait pas crevé depuis le temps – il s’est raté dans absolument tout ce qu’il a pu entreprendre dans sa vie. Il était guitariste dans un groupe au lycée – les autres ont abandonné, le chanteur s’est tiré pour être indépendant. Lui aussi il a voulu, mais il était pas assez bon avec une guitare. Plutôt moyen au chant – un joli brin de voix, mais absolument aucun réel talent. Pas mauvais en sport, dans la moyenne basse des études. Il a même commencé à avoir des cheveux gris vers ses dix-sept ans. La loose éternelle, ce type. Personne aurait pu le prédire, au début – après tout, il mettait toujours une énergie incroyable dans tout ce qu’il entreprenait… Mais il se lassait tout le temps – dès qu’il fallait fournir des efforts, il laissait tomber pour passer à autre chose. Du coup, on a fini par comprendre qu’il réussirait jamais – tout le monde l’a compris, sauf lui. Maintenant, il ne touche plus à rien – on dirait presque un saint. Il en est même devenu… Ennuyeux. Il passe ses journées à faire des petits boulots sans réussir à se trouver un vrai travail stable, avec sa dégaine d’adolescent raté et ses cheveux gris. C’est un vrai sac d’os tout le temps occupé – je suppose qu’en faisant un peu attention à son apparence, ça pourrait passer et il pourrait même se trouver quelqu’un – mais même ça, ça l’a finalement gonflé. Une « vieille histoire jamais réalisée », qu’il dit. C’est juste mon avis, mais il a du se consumer d’amour sans jamais avoir le culot de faire un geste pour savoir si l’autre était intéressé – c’est tout à fait lui, ça, attendre que ce soit l’autre qui fasse le premier pas. Ca a toujours été comme ça. Même pour payer le loyer de son appartement, il attendait que ce soit le propriétaire qui vienne le réclamer ! Comme s’il n’était absolument pas concerné. Vivre ou laisser vivre, hein… Lui, il a carrément décidé de se laisser vivre. Comme si tout était la faute des autres et que lui n’était pas concerné. Mais je sais pas. C’est comme si c’était plus compliqué, en fait… J’en sais rien. J’ai jamais réussi à vraiment le comprendre. Dès que je pensais y arriver, il balançait quelque chose d’encore plus gros sur le tapis et du coup… Enfin. Entre nous, lui et moi… C’est une histoire ancienne. Je ne préfère pas lui reparler.  Trop de passif, on peut dire ? C’est autant de sa faute que de la mienne… Il n’a jamais tenté de nous prendre au sérieux. Tant pis pour lui. »

Parce que Taylor, c’est l’humain dans toute sa splendeur, c’est ce type un peu paumé au lycée qui ne vivait que pour sa guitare, qui fuyait sa maison où ses parents adoptifs se lançaient la vaisselle à la figure – ou à la sienne, tout dépendait qui se trouvait du côté qui hurlait. C’est le type avec ses ratés et ses faiblesses, ses échecs et ses hontes. C’est l’homme qui n’a jamais voulu grandir, n’a jamais voulu se retrouver derrière un bureau et qui a préféré courir après d’impossibles chimères, juste pour les voir mourir les unes après les autres, parce que tout ce qui demande de l’effort est irrémédiablement voué à l’échec – pourquoi persister quand on n’est pas doué, pourquoi continuer quand l’inspiration n’est pas là, pourquoi continuer à essayer quand on a déjà échoué ? Taylor, c’est le type lambda qui n’a jamais essayé d’essayer, qui a toujours abandonné dès le prologue par peur du game over.

So baby, burn the bitch down
I never will cross that bridge again
Commençons par la fin ; le commencement n’est que palabre inutile, le milieu tout aussi ennuyeux, et la fin en devenir. Taylor, trentenaire qui refuse de se voir vieillir, coincé dans un emploi de serveur qui aurait logiquement dû revenir à un étudiant en quête d’argent de poche…
Recommençons. Vous arriverez à suivre ?
Il n’a pas toujours été comme ça – quand il était plus jeune, il essayait. Vraiment. Tenter de surmonter ses limites, d’être le meilleur, de voir un coin de sourire apparaître sur le visage de sa mère adoptive… En vain. Pas assez intelligent, pas assez bon en sport – moyenne basse éternelle. Juste ce qu’il fallait pour s’attirer un soupir agacé et une signature en bas du bulletin. Puis il a compris que ce n’était rien, que de courir après juste un sourire était bien plus ennuyeux que de courir après les jupes des filles – l’adolescence passant par-là, le lycée disparu rapidement de ses préoccupations, le garçon préférant profiter « à fond » de la vie du lycéen moyen : aller à des concerts, boire des bières, fumer, se sentir adulte et important, voir l’admiration dans les yeux des filles quand il leur disait qu’il était guitariste et qu’il chantait aussi. Glisser les mains sous les chemisiers desdites filles – et ailleurs aussi… Des garçons, aussi – après tout, double the fun !

Puis l’histoire perd sa cohérence – après tout, le lycée ne dure pas éternellement. L’adolescent moyen part dans des études moyennes, ou se trouve quelque chose où il est réellement bon, puis c’est la fortune, la gloire, le fame. Mais la réalité n’est pas si amusante – l’adolescent moyen qu’il était se retrouva seulement à la porte, la lèvre fendue, un œil au beurre noir et sa guitare à la main. Parti sur les routes pour trouver sa propre gloire – juste pour entendre dire qu’il devrait travailler ses gammes, qu’il devrait oublier le chant. Juste pour se voir abandonner, balancer la guitare par-dessus le pont  - pour le style, vous comprenez, autant finir en beauté – et se dépêcher d’aller la chercher dans l’eau parce que merde, il avait besoin du fric que la vente rapporterait. A partir de là… Bref. La suite, vous la devinez. A quoi bon la raconter ? Tout est allé de mal en pis – n’est pas looser le premier qui vient. Il n’a jamais vraiment cherché, jamais vraiment voulu, préférant se laisser porter par le courant et atterrir là où on voudrait bien de lui. Pour aujourd’hui, c’est ici. Demain ? C’est pas certain.