PHYSIQUE / MENTAL

Tu les regardes de travers, te demandant s’ils savent. Tu les examines, tu les observes, comme un animal blessé fuyant le contact humain. Tu restes silencieuse, tu patientes, suivant le fil des jours sans même tenter de les approcher. Eux, le reste du monde. Eux, londoniens depuis toujours. Toi, qui ne l’est que de naissance, mais pas de culture. Tu restes loin de ce monde qui pourrait encore une fois, raviver des blessures bien trop profondes et douloureuses. Tu observes, parce que c’est ce que tu sais faire de mieux. Un bulletin bien trop correct, une apparence bien trop correcte, une attitude bien trop correcte. Comment ne se doutent-ils pas de ta véritable identité ?
Pour la simple et bonne raison qu’ils savent, Grey, qui tu es. Ils savent parfaitement ton histoire. Ils lisent les journaux. Tous savent ce que tu traverses, ce que tu vis, ce que tu ressens. Certains se moquent, d’autre te plaignent. Mais toi, dans tout ça, que fais-tu ? Tu les ignores. Tu les méprises. Et puis tu attends, patiemment, que tes blessures guérissent. Tu changes, au fur et à mesure que tu te sociabilise. Ta réputation, et celle de ta famille, te poussent à changer. Tu troques ton carré impeccable pour une longue tignasse blonde et sauvage. Tu échange ton uniforme pour un look bien plus décontracté. Et puis tu te mets à sourire, à discuter, à te faire des amis. Tu apprendras, au fil du temps, à devenir sympathique et amusante. Tu apprendras ce qu’est le véritable amour, en te donnant corps et âme a de nombreux imbéciles. Tu enchaîneras les soirées et les joints, les tableaux et les photos. Tu deviendras cette fille que tout le monde veut être : belle, forte et riche. Qui semble pourtant garder en elle de terribles souvenirs.

HISTOIRE

Ma chérie, nous devons partir, loin d’ici. Nous devons tout quitter. Ton père, ton frère, notre maison… Nous devons quitter la Californie sur le champ. Nous devons fuir, courir, survivre. A quoi ? A la pression médiatique qui ne va pas tarder à s’abattre sur nous. Tu dois t’en aller mon cœur. Mais pas seule, alors je t’accompagnerais aussi loin que je le pourrais, avant qu’ils ne viennent me chercher. Je te le promets, nous te tiendrons loin de tout cela. Je te le promets Grey, tu n’as rien à voir avec les histoires de ton père. Tu n’as rien à voir avec ton frère. Et je n’ai rien à voir avec cela, mais je... Je… Fais tes valises. Vite. Prend tout ce dont tu as besoin, mais ne tarde pas trop. Ton avion part à quatre heure du matin, Andrew viendra avec toi. Il a de la famille là-bas. J’ai déjà contacté des amis, ils pourront t’héberger par la suite. Ils te protègeront. Tu ne subiras pas l’horreur des médias. Nous t’aimons Grey. Nous t’aimons plus que tout.

Alors ça ressemblait à ça, des adieux. Un coup de téléphone pour dire qu’on aime une personne, avant de la jeter dans le premier vol pour Londres, afin qu’elle rejoigne une famille aussi hypocrite que celle qu’elle venait de fuir. Un abandon soudain, où l’on pousse sa fille de vingt ans à quitter la vie qu’elle menait en Californie, pour une escapade à Londres, pays pluvieux où l’on mange des sandwichs immondes. Un instant bref et court, où l’on se sent livré à soi-même, où l’on sent le sol s’écrouler sous ses pieds. Et pourtant. Et pourtant, quelque chose au fond de nous se réveil, comme un instinct sauvage qu’on tentait d’étouffer. Et pourtant, on ose partir et tout quitter, en emportant avec soi le strict minimum. On fonce tête baissée pour éviter de subir un cataclysme familial. Et on fuit, avec pour seul ami un garde du corps bien trop silencieux pour exprimer sa peur. Une peur réelle et bien trop bruyante pour une nuit d’été. On court, à toute allure, pour tenter d’atteindre son seul et unique but. Et on se redécouvre. On se disait sage, calme et aimante. Et on se révèle fougueuse, colérique et méprisante. On vit, on survit. Et puis un jour, on se réveil dans la pénombre. On quitte tout un monde, pour redécouvrir un univers nouveau. Londres. L’Angleterre. Les touristes. Le bruit. La vie citadine comme on en a toujours rêvé, loin des institutions friquées des Etats-Unis. On débarque, on apprivoise ce territoire qu’on ne connaît pas. Et on apprend. On prend ses repères. On change de famille, on va de quartiers en quartiers. L’héritière Taylor arrivée soudainement en ville. Si seulement ils se souvenaient de ton prénom. Si seulement ils se souvenaient que depuis le début, tu appartiens à cette terre. Grey.

Ma tendre, ma douce Grey. Tu intègreras selon les souhaits de Andrew, la plus prestigieuse Université de Londres. Et tu t’en sortiras, parce lui seul t’as vu naître sous un nouveau jour. Lui seul sait, que tu ne vis pas, mais que tu survis.
.