”You're stuck in a bottle and you can't get out.“
Dans la belle contrée d’Ecosse, il fut un certain temps; temps décryptable en une vingtaine d'années, une femme - malgré les mises en garde de ses parents, fit deux rejetons à Gavin Ashbury avant d’aller voir ailleurs. Une fille, Abi et un garçon, Carlyle. Une équité parfaite tout comme les cinq années qui séparaient leur naissance respective. Depuis son départ, ils vécurent donc tous les trois, son père, sa sœur et lui. Et c’était ainsi que régnait l’ordre dans la demeure familiale. Seulement dans cette famille, ils avaient tous la grande gueule. Entre Abi qui jouait sans doute le rôle de maman dans la maison et Gavin qui poussait la gueulante à un rang sportif, Carlyle, lui en tant que dernier et plus jeune des trois n’avait pas vraiment son mot à dire.
Une chance pour lui qu’Abi lui avait fait très vite comprendre qu'elle était avant tout sa sœur et que c'était le respect de ce niveau-là qu’elle attendait venant de sa part et qu'il devait respecter. Il devait l’écouter, mais n’avait pas forcement de comptes à lui rendre tout comme elle non plus. Quant à Gavin le père, du moment qu'il avait sa bière, son boulot d’animateur d’une petite radio, ses potes, la possibilité de gueuler de temps en temps avec sa fille et des nouvelles copines qui séjournaient plus ou moins longtemps avec eux, rien ne lui dérangeait.
“You're pushing and you're pushing but it's no use. It sucks.“
Ce fut sans doute le fait qu’il jouait sans cesse au casse-cou pour pouvoir attirer l’intérêt uniquement sur lui qui l’amena là où il en était maintenant ou peut-être, était-ce à force d'être sous la pression des deux. Dans tous les cas, Carlyle sentait qu’il lui fallait trouver un autre moyen beaucoup plus efficace pour se faire entendre et remarquer. Et c'est avec cette manière dont il voulait affirmer sa position d’homme en devenir. Pour cela, il était donc temps de mettre fin à son invisibilité et à sa gentillesse d’enfant de chœur en appliquant fidèlement tout ce qu'il avait appris durant sa jeunesse auprès de son père et de sa sœur. Dit comme cela parait bizarre, mais la grossièreté et l’insolence étaient le quotidien venant de l’un comme de l’autre et cela semblait la meilleure façon aux yeux de Carlyle d’atteindre le but qu’il s’était fixé. Et quoi de mieux que de commencer sa petite crise de démarcation avec la présence de la dernière copine en date de leur père qui posait bien plus de problèmes que les précédentes.
Celle-là n'appréciait visiblement pas les gosses et encore moins ceux de son amant. Cela ne dérangeait pas Carlyle qui avec le temps et l'habitude des défilés n'y prêtait même plus attention, mais c’était une vraie guerre froide entre l'auto-proclamé femme de Gavin et la fille de ce dernier. Un an déjà qu’elle s’était incrustée dans leur vie et elles se crêpaient le chignon dès qu’elles se trouvaient à proximité l’une de l’autre. À en croire Abi, cette femme dont elle ne prononçait que rarement le nom sans grincer des dents avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans sa tête pour ne pas vouloir accepter la famille de la personne qu’elle disait aimer. S’en suivait des disputes qui se finissaient la plupart du temps par Abi affirmant que leur père n'était qu’un sale con qui ne s'intéressait qu'à son petit nombril et que de temps en temps à sa progéniture si bien qu’il ne voyait pas les changements se produisant sous son nez.
Tout avait si bien dégénéré au fil des mois, qu’Abi profita pour débuter ses études en médecine en Angleterre et de s’y installer définitivement, embarquant dans son sillage son frère qui commençait à filer un mauvais coton, comptant sur le peu d’éducation qu’elle avait reçu de leur mère pour atteindre l'avenir déjà tout tracé se trouvant dans l’esprit de l’aînée. Alors oui, ce serait une période éprouvante avec les épreuves et les gardes qu’elle serait amenée à faire dans sa formation, mais il était hors de question de laisser Carlyle avec deux adultes irresponsables. À 13 ans, il y avait encore de la marge pour qu’il redevienne l’enfant sage et bienveillant qu’il était il n’y avait pas si longtemps.
Le pire dans tout cela fut que Gavin n’y opposa qu’une infime objection avant d’accepter, ce qui confirma la jeune fille dans ses dires malgré son insistance dans la participation. Après tout, l’Angleterre n’était pas à l’autre bout de la Terre.
“Grinding in my room.”
Abi avait tout fait pour que tout ce passe bien. Ils avaient emménagés dans un bel appartement non loin du centre-ville de la capitale anglaise, à la fois pas trop loin de son lieu de travail et à proximité de l’établissement scolaire de Carlyle qui était payé par Gavin. Et pourtant, malgré ce changement d'environnement, son comportement ne changea pas d'un poil. Voilà même que dorénavant, il se démarquait en cours par son absence totale de motivation couplé de pair avec une assiduité en dent de scie. Et comme si tout ceci ne suffisait pas, il commençait à se battre avec ses camarades de classe. Il arriva même au point de détester la décision prise par sa sœur alors qu'il n'avait montré aucun signe de protestation lors de la prise de bec entre sa sœur et son père, comme s'il n'avait pas été concerné par la décision qui allait être prise.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'il n'allait pas en cours ou qu'il les séchait par on ne sait quel miracle, il occupait ses heures en flânant dans les rues avec ses nouveaux "amis" qui n'étaient pas mieux que lui; et pareil quand il ne pouvait pas rester dans la maison à cause de la présence de sa sœur. Histoire de la laisser poursuivre correctement sa destiné de devenir médecin-urgentiste.
En ce qui le concernait, avec tout ce qu'il n'entreprenait pas, il abandonna doucement mais sûrement les études. Sans diplôme et sans avenir en perspectif, il s’était tout bonnement lassé de tout malgré la volonté d'Abi à le remettre dans le droit chemin au point de le menacer de le mettre dehors ou lorsqu'elle fit intervenir son amie de boulot, Gwendoline qui ne s'était pas fait prier pour rajouter son grain de sel. Et plutôt violemment.
Ah la Gwendoline, toute une histoire. C'était l'amie en qui Carlyle voyait le doppelgänger de sa sœur. Lui-même ne pouvait pas vraiment expliquer le lien qui les unissait tous les trois. Sans doute que l’expression
qui se ressemble s’assemble serait la plus pertinente et celle qui permettrait de répondre à cette question. Une vraie brute dans un corps d'ange.
“To a better and happier place.”
Il n'était pas si lointain son passé de sale gosse, petit voyou qui se battait avec sa pseudo bande dès qu'on les cherchait ou qu'on les regardait ne serait-ce que de travers. Il ne le cachait pas, mais n’en parlait pas non plus. Après tout, il n’avait rien fait qui méritait qu’il s’en vante auprès de qui que ce soit. Mais dorénavant, il avait changé.
Si Carlyle devait donner la raison qu’il l’avait poussé à se ranger définitivement, il dirait sans doute que la saveur d'un plat concocté avec passion lui avait redonné l’envie de faire les choses, profitant de cette déclaration pour passer sous silence le certain apaisement des tourments qu’il n’avait même pas réalisé qu’il subissait… En plus de l’humiliation qu’il avait subi. Chez lui. Par un invité.
Personne n'avait osé lui dire que la nourriture que ses doigts touchaient ne se transformait pas en or, mais avait plutôt tendance à faire l'inverse. Personne à part le patron, chef d‘établissement et de cuisine du restaurant dans lequel Abi et sans doute Gwendoline mangeaient dès que l’occasion se présentait parce qu’elles avaient la flemme de prendre du temps pour se faire à manger. C’était un mec cash lui, alors il lui avait dit en pleine face que le plat fait par Carlyle qui en était plutôt fier et dont il n'avait pris qu'une petite bouché était tout simplement horrible, qu'il n'avait aucun talent culinaire et qu’il n’arriverait à rien dans la vie au train où il allait.
Le gars, il ne lui avait rien dit, rien demandé et il se permettait de lui cracher dessus verbalement. C'était carrément de la provocation à ce niveau-là. Et il n'avait fallu qu'un tour de sang pour que Carlyle lui exprime de manière très "sympathique" sa façon de penser. Ayant vu bien plus de la vie que le petit fout rien qu'était Carlyle en face de lui, le chef lui donna rendez-vous le lendemain dans son restaurant histoire de lui faire voir la vie d'adulte.
La première fois qu’on l’y avait menée au-dit restaurant qui était situé dans une petite ruelle du centre-ville, Carlyle se fit très vite la réflexion que ça ressemblait plutôt à un repaire de truands qu'autre chose. Il s'était aussi demandé comment sa sœur, propre sur elle et tout le charabia avait pu tomber dessus et apprécier l’ambiance au point d’y revenir toutes les semaines pour ne pas dire tous les jours. Il assista à la préparation ainsi que d'un service dans la cuisine même.C'était intense et il n'y avait pas de place au laxisme. Avec tout ça, le chef avait eu le temps de lui faire une assiette afin que le roux y goûte. Et la dégustation finit par avoir raison de son obstination quelconque.Ce fut à ce moment que tout changea. À presque 20 ans, il avait décidé de prendre sa vie en main. Si avant il faisait chanter ses poings sur le visage des autres, maintenant il les emploierait à autre chose de plus nutritif. Il avait un but. Il fera ravaler son caquet au patron du restau' en devenant chef ! Enfin, cuisinier pour commencer. Carlyle allait lui prouver que ses idées qu'il en avait à foison, n'étaient pas incomestibles pour l’humanité tout entière.
Ce fut la même humanité qui remercia le patron du restaurant ainsi que la sœur de Carlyle -parce qu’elle en avait marre de le voir ne rien foutre à la maison maintenant qu’il s’était un tant soit peu assagit.- de le laisser tenter sa chance dans le restaurant qui lui a donné envie de bouger ses miches. Et d’avoir trouvé la ruse de dire que tout le monde commençait par être plongeur au début, ce qui n’est pas totalement faux. Il fallait bien qu'il apprenne le b.a-ba de la restauration et éviter tout empoisonnement et catastrophes.
“Getting high and getting wrecked.”
Encore une soirée éreintante qui venait de se terminer. Il ne restait à Carlyle qu’à sortir les poubelles et il pourrait rentrer se détendre sur son canapé dans sa tenue débraillé qu’il aimait le plus. Car oui, à présent il avait son propre logement. Comme Abi avait des horaires de malade et que lui aussi, il avait décidé de prendre un logement pour lui tout seul, histoire de lui prouver qu’il pouvait se prendre en main une bonne fois pour toute. Pas la peine de préciser que cette envie ne fut pas prise avec gaieté de cœur de la part de sa sœur. Abi en était réduit à lui mettre des bâtons dans les roues. Ce ne fut seulement grâce à son premier mois en tant qu’interne qui la fit céder à son envie de prendre son indépendance. Et sûrement le goût de ses plats y avaient pesé dans la balance. Pas qu’ils étaient mauvais… Tout le temps. Il s'était grandement amélioré, renforçant par la même occasion son envie de battre la carte qui l'avait fait grandir.
En plus, il n'avait même pas besoin de se prendre la tête pour savoir ce qu'il allait manger le lendemain puisque le chef comme ils l'appelaient tous, lui avait offert quelque restes de plats non servi. Ha, lui et son dégoût du gaspillage allait devenir légendaire s'il continuait à donner à qui voulait.
Bref, ce fut une nuit comme celle-là qu'il avait rencontré Cartwright alors qu'il rentrait chez lui. Et à bien y réfléchir, ce n’était pas la première fois qu’il l’apercevait dans le coin, lui et sa guitare. Cette fois-ci, en entendant le ventre de cet inconnu gargouiller et son doigté de guitariste passionné, il ne pouvait pas s'en aller sans le féliciter. Carlyle l'avait gratifié des portions que son patron lui avait données en guise de bon travail et lui avait eu droit à cinq minutes de mélodie harmonieuse. C’était bien mieux que chercher de quoi manger dans les poubelles. Et puis il jouait si bien de la guitare qui ne s'écoula très peu de temps avant qu'il ne lui proposa un deal : le gîte et le couvert pour une nuit s'il venait chez lui faire le goûteur. C'est ainsi que débuta leur relation.
Cette histoire datait de quelques mois déjà et il n'avait pas vraiment laissé à son nouvel ami la possibilité de partir. Ainsi, Carter vivait toujours dans son petit appartement, ses journées étaient bercées de son boulot, les appels hebdomadaires de sa sœur se plaignant de la vie de martyre qu'elle subissait même si elle aimait ce qu'elle faisait et ses expériences culinaires avec l'aide du guitariste alias Carter, en tant que goûteur personnel.
Carlyle se permit de rire joyeusement alors qu'il filait sur la route sur son scooter. Si ce n'était pas une belle vie qu'il avait, il ne s'y connaissait pas.