MORGAN LEWIS HUNTER

LAUGH AND THE WORLD LAUGHS WITH YOU

Il y a quelque chose de pathétique à ton sujet - quelque chose qui donne comme l'envie de te prendre dans ses bras & de te dire que tout va s'arranger ; t'as ce regard un peu paumé qui fend le coeur des vieilles dames et qui inquiète les passants, ces fantômes au fond des yeux qui se taisent jamais tout à fait. T'es grand et mince, tout en muscles opiniâtres - il paraît que t'as un joli visage, mais t'as jamais été foutu de le voir sous cet angle ; tout ce que t'as bien voulu admettre c'est que tu ressembles à ton père, les même traits vaguement méditéranéens & les mêmes couleurs chaudes. On te dit nerveux, quand on voudrait dire névrosé, névrotique - sans doute que ça a commencé avec les comprimés qu'tu trimballes dans ta poche arrière & les ordonnances qui te font office de matricule ; tu as puisé dans la maladie plus qu'une identité - c'est le confort morbide que tu n'as su trouver nulle part ailleurs, la certitude que faute d'être quelqu'un t'es un numéro dans l'dossier d'un médecin ; c'est con, mais t'as si bien désappris à faire confiance que t'as même pas su te faire des amis - t'as que des camarades de surface, des relations circonstancielles, le genre qu'on appelle pas quand tout va mal ; & ton souci à toi, c'est que t'es une véritable épave. C'est dommage, t'avais du potentiel, il paraît - un gamin prodige, aux joues roses et aux bulletins impeccables ; il paraît que t'avais du coeur, avant, que t'avais de l'humour & des projets - aujourd'hui, tu n'as plus grand chose.

Ca va faire bientôt vingt ans que c'est pas ton jour.

WEEP AND YOU WEEP ALONE

pris au piège par le souffle imminent de ton retour tout c'qui nous attend on dirait l'âme on dirait le sang tu touches mon coeur l'esprit s'en ressent et moi je suis fou mais comment te dire je voudrais arrêter le temps

Tu t'souviens, quand t'avais douze ans.
A l'école on te regardait de travers ou on ne te regardait pas du tout - sans doute que c'est à ce moment là que les choses avaient commencé à mal tourner. T'étais plus petit que les autres d'une bonne quinzaine de centimètres ; ça t'avait valu une dizaine de sobriquets aussi insultants les uns que les autres - ça t'avait valu des tapes dans le dos un peu trop violentes & quelques regards méprisants ; t'étais celui dont les cahiers disparaissaient mystérieusement & qui ne pouvait pas hausser la voix sans provoquer l'hilarité générale. Tu te rappelles, à l'époque, tu ne parlais pas beaucoup - t'avais choisi de te réfugier dans le silence pitoyable qui caractérise si bien les martyrs modernes, cet immobilisme impavide qui mène à l'inertie du coeur. Tu te souviens, t'avais voulu expliquer à ta mère pourquoi t'avais perdu six points sur ta moyenne - t'avais voulu lui faire comprendre que si t'étais couvert de bleus c'était pas tellement ta faute, t'avais voulu qu'elle ouvre les yeux qu'elle te sorte de là peut-être ; c'était si tristement banal que ça t'aurait sûrement fait rire si t'avais pas eu tant l'envie de chialer. Ta mère avait rien voulu entendre, d'abord - sûrement que c'est ce qui t'avait poussé à hurler jusqu'à ce qu'on t'emmène droit en psychiatrie ; on t'avait prescrit des pilules dont t'étais incapable de prononcer le nom, et c'était pas allé plus loin - à l'époque. Tu te souviens, ton père s'était remarié peu de temps après ; vous aviez appris la nouvelle un joli matin, quand le faire-part avait glissé de la boîte aux lettres - quelques noms sur une feuille colorée, une photo tristement figée. Ca t'avait pas fait grand chose, à toi ; ça faisait peut-être huit ans que tu l'avais pas vu, ton père - c'était plus qu'une forme aux contours flous dans les abysses de ta mémoire, une absence plus qu'un visage. Ta mère avait rien dit - elle s'était contentée de pleurer, deux larges traînées noires de mascara sur les joues ; elle avait pleuré en silence & sans te regarder - t'avais quitté la pièce, alors, et avalé quelques cachets de plus - quelques cachets de trop.
T'avais fini par grandir ; fini par t'éloigner d'cet environnement tristement toxique - ça avait pas suffi à arranger le problème, pourtant. Vous aviez déménagé, une fois, cinq, neuf - de villes en villes & d'un psychiatre à l'autre ; on t'avait diagnostiqué un tas de ces pathologies à trois syllabes, prescrit suffisamment de tranquillisants pour anesthésier une armée - t'avais atteri à Londres, finalement, & t'avais fait ce qu'on attendait de toi sans grande conviction : t'avais rejoint l'université - t'avais continué à avancer.

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