Nora L. Campbell
« Toi, en même temps, t'as jamais eu de problèmes. »
C'était plutôt juste. Après tout, il ne lui était jamais vraiment arrivé quelque chose de grave, pas avant l'accident en tout cas, et même ça, ça ne l'avait pas complètement ébranlée. Elle était plus forte que ça, elle était prête à tout pour réussir, pour avoir une vie épanouie, pour que tout soit parfait.
Nora avait toujours été ainsi, de la petite fille parfaite à la femme que l'on disait fatale – ce qui, pour le coup, n'était pas franchement vrai – elle avait tout géré avec brio. Ou presque. On pouvait imaginer que la vie de Nora avait été très simple, une jeune femme qui s'était finalement laissée guider tout au long de sa vie jusqu'à ce poste de doyenne d'une université prestigieuse. Son histoire n'est bien entendu pas faite que de hauts et si elle tend à garder pour elle ces souvenirs, il est important de les présenter pour bien la comprendre.
Enfant, la brune était assez extravertie. Elle était toujours la première à aller vers les autres. Curieuse, elle avait très envie de se faire des amis, de connaître tout le monde. Seulement, son côté sérieux l'empêchait de trop s'allier aux enfants de son âge. Elle avait de l'avance, beaucoup trop d'avance et elle s'était rapidement rendu compte que les petits jeux d'enfants ne l'intéressait plus. Alors, elle s'était un peu renfermée, préférant la présence des adultes et des livres, plutôt que s'embarrasser de petites personnes de son âge. Elle n'était pas malheureuse, après tout, elle avait une famille très aimante et quelques amis avec qui elle s'amusait tout de même. Sa vie était simple et avançait formidablement bien.
Le collège et l'adolescence arrivèrent rapidement. Les responsabilités avaient commencé à venir avec, Nora cherchait déjà à se mettre en avant, choisissant toujours des postes de leader qu'on lui offrait avec joie. La brune avait commencé à asseoir sa réputation, elle était agréable, amicale et dans le même temps tout le monde pouvait compter sur elle. Pourtant déjà, elle impressionnait tout son monde et même ses professeurs ne savaient pas toujours comment l'aborder. D'une prestance naturelle, Nora s'exprimait avec un vocabulaire riche, sans présenter aucun complexe, elle restait cependant très bienveillante, n'essayant jamais d'utiliser son talent ou son savoir pour rabaisser quelqu'un. Elle préférait au contraire en apprendre encore plus et aider son monde, après tout, pourquoi perdrait-elle son temps en se faisant des ennemis ? Nora a toujours été volontaire pour une entraide entre pairs, ce qui faisait aussi la fierté de ses parents. Encore une fois, cette période se passa sans encombre, la puberté était passée par là et Nora avait grandi, avait pris aussi un peu de poids et de jolies formes. Elle était devenue une adolescente épanouie comme il n'y en a pas beaucoup, peut-être était-ce parce que tout n'était pas fini pour elle.
Le lycée fut une grande étape dans sa vie. D'abord, ce fut là qu'elle rencontra ses deux meilleurs amis. Des garçons. Évidemment, l'âge ingrat était passé par là et les rumeurs allaient bon train, et pourtant, seul le cœur de Nora savait la vérité sur tout cela.
Elle était la plus jeune, mais finalement elle était vraisemblablement la plus mature du groupe. Elle n'avait pas les défauts de ses deux acolytes. Bruss était bien trop secret, trop distant et Barth... Ah Barth. Il était tout l'inverse, exubérant au possible. Elle avait rencontré Bruss dans un couloir du lycée, en fait, elle l'observait souvent. Il était plongé dans ses livres, toujours silencieux. Nora, elle, était toujours accompagnée, jusqu'au jour où elle avait pu se rendre seule dans ce lieu de rendez-vous secret.
« Hm... Mauvais choix, surtout quand tu te rends compte qu'à la fin... »
Elle avait parlé sous le regard médusé de son vis-à-vis. Oui, elle lui avait simplement dit la fin de son livre. Après tout, s'il avait le temps de lire ce genre d’œuvres ratées, il pouvait bien lui adresser la parole, non ? Elle avait fini avec un petit sourire son exposé, attendant une quelconque remarque. Et Bruss n'avait rien dit, du moins, pas sur le moment. La sonnerie avait retenti, signalant la fin de leur court interlude, il lui avait alors demandé s'ils pouvaient se voir après pour un chocolat chaud. Elle avait fait mine de réfléchir, appréciant toujours de se faire un peu désirer, puis elle avait accepté.
Et ils ne s'étaient plus quittés. Elle aimait sa présence apaisante et elle décelait en lui un potentiel qui n'était pas suffisamment mis en avant. Plus elle passait du temps avec lui, plus elle s'attachait à lui. C'était un peu comme le frère qu'elle n'avait jamais eu, leurs silences en disaient longs. Il n'y avait pas besoin de trop en dire, c'était simple, sans accroches, même si des fois elle le poussait un peu trop. Après tout, il savait, au fond de lui, que c'était pour son bien, alors elle était sûre qu'il lui pardonnait tout ça.
« Bah alors, vous étiez où ? »
Et puis, il y avait Barth. Bartholomew était un prénom bien trop long et la demoiselle avait rapidement utilisé le diminutif afin de ne pas perdre de temps lorsqu'elle devait s'adresser à lui – sauf pour le disputer, bien entendu. Les jours avec lui prenaient une autre tournure, si Bruss apportait le sucré, Barth ramenait toutes les épices à la fois, un mélange de couleurs détonnant dont elle ne se lassait presque jamais. Si Bruss était le grand frère, Barth était... Était l'inattendu. Nora classa rapidement ses moments d'adolescence avec ses deux aînés comme les plus beaux qu'elle avait vécu. Des éclats de rire qui ne sortaient pas souvent de sa gorge, des légères disputes, et des moments simples d'amitié. Pourtant, tout n'avait pas été facile. Bruss se dénigrait trop souvent et malgré qu'elle lui mette des coups de pied aux fesses, il ne semblait pas vouloir décoller de son impression, mais elle le savait, un jour, il y arriverait. Barth', lui, partait trop souvent en vrille et elle se rongeait trop souvent les sangs pour lui. Son ami la mettait devant sa propre incompétence, son inutilité sur le sujet. Elle le savait, si jamais il allait mal, s'il se trouvait en mauvaise posture, ce ne serait pas vers elle qu'il irait, ce serait toujours vers Bruss. Peut-être parce que c'était un garçon, peut-être parce qu'ils étaient plus proches, elle ne le savait pas. Elle souffrait en silence, elle souffrait d'être délaissée alors qu'elle faisait pourtant de son mieux, qu'elle faisait toujours de son mieux. Sa position de plus jeune du groupe et de petite fille sérieuse lui donnait aussi un rôle de petite princesse. Et elle adorait ça. Elle avait le désir de contrôler les choses, de comprendre, de pouvoir être là.
Alors quand le blond disparaissait, c'était avec Bruss qu'elle passait le plus clair de son temps. C'était loin de la déranger, puisqu'elle se sentait toujours aussi bien en sa compagnie. Elle n'appréciait simplement pas toutes ces choses que l'on mettait sur ses épaules. Comme si elle n'était qu'une irréfléchie comme Barth' ! Elle s'inquiétait pour lui, autant qu'elle s'en voulait de ne pouvoir rien faire et autant qu'elle détestait qu'on la mette à l'écart de tout cela. Alors elle posait parfois sa tête contre l'épaule de Bruss, en attendant que les mauvais choses se passent. Et parfois, c'était plus animé, ils s'alliaient tout simplement pour les intérêts de leur ami, même si c'était contre son gré. Elle s'était beaucoup rapproché du brun, allant jusqu'à lui confier ses peurs. Hélas, elle n'arrivait pas à se défaire de ce sentiment pour Barth, comme elle ne pouvait plus s'empêchait d'en parler à son meilleur ami, son confident. Probablement que cela avait été trop, surtout pour Bruss qui portait déjà tellement de choses.
Seulement, Nora commençait à comprendre qu'elle ne pourrait pas échapper à son avenir, ses parents qui étaient avant d'un soutien indéfectible avaient commencé à lui reprocher ses fréquentations. Il était vrai qu'elle ne leur parlait que des deux jeunes hommes, parfois un peu de ses autres amis du lycée, des filles de sa classe, mais son cœur n'allait vraiment que vers ses meilleurs amis et elle commençait à avoir des envies d'évasion. Après tout, pourquoi ne pourraient-ils pas venir avec eux lors de leurs vacances familiales ? S'ils étaient ses meilleurs amis, ils faisaient partie de la famille, non ? Non. Dure vérité que d'entendre de la bouche de ses parents qu'elle a changé, que ses fréquentations ne sont pas les bonnes, qu'elle ferait mieux de se concentrer.
Comme si elle ne le faisait pas assez, elle se plongeait déjà très sérieusement dans ses études et elle ne perdait pas de rang, mais malgré tout, son paternel était toujours derrière elle et ne la lâchait pas. Finalement, la confiance s'était un peu amenuisée et elle en souffrait. On lui reprochait d'être dans une crise d'adolescence, de ne plus savoir ce qu'elle voulait, mais ça, elle le savait justement : elle voulait être libre.
« Je ne sais pas quoi faire. »
Encore une fois, elle s'était confiée à son ami. Elle n'avait que lui, mais pouvait-elle vraiment lui mettre ça sur le dos ? Non, probablement pas, mais elle n'avait que lui et Barth était encore ailleurs. Où ? Ils ne le savaient pas, encore... Cette nuit-là, elle avait décidé de la passer avec Bruss, ce n'était pas un calcul, elle avait juste eu besoin d'un peu de sa douceur, elle avait eu besoin de sa présence. Pour une fois, pour cette fois seule, elle avait souhaité être plus faible et se laisser aller. Mauvaise idée peut-être, ce soir-là, il n'avait pas été dans son état normal, peut-être avait-il mal pris ses intentions, peut-être n'avait-elle pas été assez claire... Il s'était approchée d'elle pour l'embrasser, elle l'avait repoussée, il avait attrapé ses poignets, l'avait serrée contre lui, elle s'était débattue, avait fui à l'autre bout de la pièce, choquée. Ils étaient resté là pendant un moment, sans se parler, puis elle avait pris ses affaires et était rentrée chez elle. Elle n'avait plus voulu en parler, quand il lui demandait, elle s'excusait parfois, elle lui disait que ce n'était pas grave la plupart du temps, qu'elle comprenait. Cela avait en fait cassé quelque chose en elle, Nora avait compris qu'elle ne pouvait pas être faible, qu'elle ne pouvait pas se laisser aller. C'était une des étapes qui l'avait doucement fait accepter son rôle.
Puis il y avait eu cet incident, semblant si loin et pourtant si proche. Que serait-il arrivé si Bruss avait plus insisté, si Nora avait décidé de s'y mêler ? L'histoire de Barth et Loukas n'était pas saine, elle le savait, mais pour autant elle ne pouvait pas empêcher son ami de faire ce qu'il voulait. Et voilà où cela l'avait mené. Elle avait été tétanisée par la nouvelle, imaginer une telle cruauté, imaginer l'état dans lequel son ami devait être. Elle avait beaucoup pleuré, seule, pour pouvoir apparaître devant ses amis avec un village sans larmes. Elle ne voulait pas les accabler plus qu'ils ne l'étaient déjà, elle ne voulait pas que son mal-être puisse transparaître et pourtant, elle avait l'impression que tout son bonheur avait décidé de lui glisser des mains, comme si elle tentait de retenir de l'eau avec les mains ouvertes.
Les mois étaient passés, plus ou moins douloureux, puis Barth avait quitté le lycée et avant que Nora n'eût le temps de s'y faire, Bruss aussi. C'était difficile pour elle, mais elle s'était bien gardée d'en parler.
Ses parents avaient fini d'achever sa métamorphose. Il y avait eu une réunion de famille très solennelle, pendant laquelle Nora devait parler de son orientation, pour ses parents, le chemin était simple, elle devait choisir les sciences politiques et une autre matière, que ce soit la philosophie ou l'économie, elle devait aller le plus loin possible, devenir professeur, conférencière puis finalement rejoindre le poste de doyenne de l'université Millenium. Elle suivrait ses études universitaires en cet endroit, elle en deviendrait une mascotte avant de passer derrière le plus massif de ses bureaux. Elle occuperait donc le poste le plus important de la prestigieuse université.
D'abord, Nora eut l'impression de devoir ravaler ses larmes, elle se sentait faible, rageuse face à ce qui leur paraissait être une évidence. Puis elle se souvint alors de l'expression de Bruss alors qu'il essayait de l'embrasser, elle se souvint de tous ces moments passés ensemble, à travailler, à se dire qu'ils allaient faire de leur mieux. Peut-être que c'était simplement ce qu'elle devait faire, peut-être que c'était le mieux. Ce soir-là, il n'y eut ni cris, ni larmes. Elle accepta simplement ce qui semblait être son destin.
Alors elle avait suivi tout cela, elle avait été diplômée de son lycée puis était devenue élève à Millenium. Elle travaillait avec acharnement, elle ne souhaitait pas décevoir ses parents et surtout, elle ne souhaitait pas se décevoir elle-même. Maintenant, ce projet était devenu le sien. Elle avait un peu perdu de vue ses meilleurs amis, en fait, elle avait perdu de vue tout le monde. La jeune femme s'était enfermée dans son travail, jusqu'à devenir major de sa promotion dans les différents cursus qu'elle avait choisi. La perfection semblait donc alors continuait et elle n'était pas malheureuse. Après tout, elle souhaitait seulement réussir et elle n'avait alors que cela en tête, rien de plus. Après une année sans quasiment voir ses amis, elle s'était finalement aperçue qu'elle ne pouvait pas vivre comme ça, qu'elle ne pouvait pas se montrer si distante envers ses meilleurs amis. Il y avait beaucoup de secrets entre eux, beaucoup de non-dits, alors elle s'était décidé à leur dévoiler ses plans, son ambition. Les deux jeunes hommes avaient écouté sans broncher, et finalement l'avaient soutenu dans son projet. C'était sûrement futile, mais cela lui avait fait du bien d'avoir cette franchise avec eux. Ils l'avaient suivie pendant ses années lycées, ils la suivraient aussi pendant ces années universitaires.
Elle réussit tout et commença à travailler, comme le souhaitaient ses parents, comme elle le souhaitait à son tour. Des conférences, des interventions dans les plus grandes écoles, un poste de choix à Millenium, sa carrière ne présentait pas un seul point noir, la jeune femme brillait et frôlait l'excellence. Sa vie privée faisait d'elle une femme accomplie. Elle avait rencontré James alors qu'elle était invitée à une conférence sur le système politique britannique, ils défendaient deux points de vue différents avec véhémence et grande intelligence. La conversation avait poursuivi en off. Nora avait eu cette impression, pour la première fois, d'être en face de son égal. Bien sûr, des amourettes, elle en avait vécu, mais lui était la personne qui la comblait totalement. Ils avaient des agendas chargés, ils avaient des activités aussi diverses que variées, mais pourtant, ils avaient toujours du temps l'un pour l'autre, comme des amants qui se retrouvent une fois leurs double vie terminée. Ses amis aussi commençaient plus ou moins à se ranger. Bruss avait Avril et même si elle avait été un peu suspicieuse au départ, le bonheur de son ami n'avait pas de prix à ses yeux et surtout, Barth avait Donna. C'était le plus beau des sentiments, l'impression que enfin, tout semblait aller pour le mieux. Elle voyait ses meilleurs amis assez souvent mais dans tous ces moments, n'avaient pas vraiment réussi à parler de James. Peut-être parce que ses sentiments dépassaient sa retenue habituelle, sa justesse.
À cette époque, Nora se confiait bien plus naturellement à Harper. Harper était une des amies qu'elle s'était faite à l'université, quand dans la solitude de la bibliothèque, elles s'étaient retrouvées à emprunter les mêmes livres, à parcourir les mêmes essais, à se rendre aux mêmes conférences, avant de se rendre compte qu'elles faisaient en fait les mêmes études. Harper était tout à l'inverse de Nora, toujours un peu courbée, blonde aux cheveux longs et épais, des grosses bouclettes entourées son visage surmonté d'une paire de lunettes épaisses. Harper lui faisait parfois penser à Bruss, malgré sa grande intelligence, elle restait toujours en retrait, comme si elle avait peur de mal faire, se tromper ou qu'elle pensait que ses paroles ne valaient pas la peine d'être entendues. Nora la poussait souvent à se faire un place. Lorsqu'il y avait une présentation en groupe à faire, c'était vers Harper qu'elle se tournait, puis elle prenait un malin plaisir à la faire prendre la parole. Et elle avait eu raison de la coacher ainsi. Après leur diplôme, Harper était devenue une assistante parlementaire et travaillait dans un bureau d'études pour le Ministère de l'Intérieur anglais.
Elles avaient décidé d'emménager ensemble, une colocation dans un appartement confortable de Londres. Nora avait décidé depuis un moment de quitter le foyer familial, mais ne plus vivre seule l'avait beaucoup aidé à ne pas se renfermer sur elle-même.
Cela expliquait aussi que sa relation avec Harper s'était autant développée. Elle était devenue sa confidente et il lui était beaucoup simple de lui parler, quand elle n'osait plus appeler Bruss ou Barth, tous deux sûrement bien occupés par leurs propres conquêtes.
Oui, c'était assez nouveau pour elle, de perdre un peu pied face à quelqu'un. Pourtant, dès qu'elle le voyait, elle se comportait toujours comme elle l'avait toujours été, mais alors qu'elle rentrait chez elle et qu'elle réfléchissait à tout cela, la brune se sentait soudainement démunie.
Puis il y eut les mariages. Nora était tellement heureuse pour ses deux amis, même si à ce bonheur se mêlait une inquiétude sournoise qui se glissait dans son esprit sans qu'elle ne pusse l'empêcher. Bruss semblait avoir trouvé le bonheur et Barth la stabilité dont il avait besoin. L'épisode Loukas était un peu derrière lui, même si elle ne doutait pas que cela devait le hanter. Ils n'en parlaient pas vraiment, comme quoi, même avec le temps passé, ils arrivaient toujours à garder leurs petits secrets, comme si le ciment de leur relation était le jardin secret qu'ils cultivaient chacun de leur côté. Finalement, ils avaient chacun leur vie de leur côté, tous très occupés et Nora commençait à s'attacher à James de plus en plus, jusqu'à ce que leur relation se concrétise. Harper avait elle aussi trouvé l'amour et les deux jeunes femmes déménagèrent. Elles restèrent cependant voisines, vivant dans un grand immeuble londonien, elles avaient deux étages d'écart mais cela faisait tout, elles se voyaient moins, mais toujours avec grand plaisir. Leurs compagnons s'entendaient aussi bien. Arthur était un financier important à la City, que Harper admirait autant qu'elle critiquait dans le privé pour certaines de ses décisions. Les voir s'agacer amusait toujours Nora. Quant à James, il était simplement devenu son roc. Il avait une force de caractère qui la rassurait et une stabilité qui l'aidait beaucoup. Finalement, après plusieurs années de relation, il avait décidé de lui passer la bague au doigt, et elle avait dit oui.
La cérémonie avait été simple, ses deux amis présents, Harper et Arthur, des amis de l'université, des proches de James, la famille, tout le monde était présent pour cet événement heureux. Nora Lily Kent était devenue Campbell et s'était présentée comme étant émue, comblée. La naissance d'Alice avait suivi, la merveilleuse petite fille était arrivée et Nora avait eu l'impression que son monde était bien vide avant elle. Les deux parents avaient alors décidé de déménager dans un quartier plus calme de Londres, là où ils pourraient bénéficier d'un petit jardin où Alice pourrait gambader en sécurité. Chaque jour, Nora se sentait bénie d'avoir cette vie, son sourire était devenu un élément distinctif de son apparence. Toujours sereine, elle accueillait le monde à bras ouverts, elle n'avait plus peur de rien, elle vivait sur son petit nuage. Le divorce de Barth était malheureusement passé par là, mais elle pensait voir son ami rebondir, comme il l'avait toujours fait. Elle voulait croire en lui comme elle avait cru en Bruss. Tout irait pour le mieux, elle avait besoin de s'en persuader, elle ne souhaitait que le meilleur pour ses deux amis qui l'avaient tellement aidé dans sa vie, sans forcément le savoir, sans y faire vraiment attention.
Puis, il y eût l'accident. Un soir, James ne rentra pas. Nora était allée chez la nourrice pour récupérer Alice, s'excusant mille fois pour le retard de son époux. Ce n'était pas dans ses habitudes, il appelait toujours s'il avait le moindre retard, il y avait toujours un moyen qu'il prévienne. Mais pas cette fois-là. Alors qu'elle rentrait dans la voiture, installant Alice sur le siège, son téléphone avait sonné. Professionnelle, la jeune femme avait fermé la portière pour répondre, faisant signe à la nourrice que tout allait bien.
« Mme Campbell ?- Elle-même.- Je suis le Dr Nichols, je vous appelle au sujet de James Howard Campbell... »
Elle s'était alors effondrée. James était à l'hôpital, dans un état critique. Il y avait eu un accident, un camion qui s'était retrouvé en feu en plein milieu d'un tunnel, James s'était retrouvé coincé au milieu de deux voitures, les portières enfoncées, il n'avait pas pu sortir quand les flammes étaient arrivées. Il était pour le moment un des seuls rescapés, mais ce ne serait probablement pas pour longtemps. Si Nora avait été d'un naturel serein depuis toujours, faisant face à la crise et à l'urgence avec une forme de placidité étonnante, cette fois, elle s'était laissée aller à la folie. Elle appela Harper, qui s'occupa d'Alice puis fila jusqu'à l'hôpital. Son époux ne ressemblait plus à l'image qu'elle avait eu de lui, son corps était brûlé, il s'était protégé le visage mais une partie n'avait pas échappé aux flammes. Il la regardait avec une infinie tristesse dans les yeux, elle lui avait tenu la main. Il souffrait et finalement son cœur avait lâché. Il l'avait laissée seule. Nora s'était alors enfermée dans son travail, sa méthode de défense était réapparue. La brune n'avait alors d'yeux que pour sa fille, cherchant le plus possible à écrire de chez elle, limitant les conférences, se consacrant à des ouvrages. Elle avait perdu l'homme qu'elle aimait, elle ne voulait pas perdre l'enfant qu'elle avait eu avec lui. Alice n'était qu'un bébé et devrait apprendre à vivre sans père. Elle avait heureusement deux oncles aimant qui passaient la voir quand ils le pouvaient.
L'objectif de devenir doyenne se rapprocha à grand pas, avant de finalement être sien. Elle était l'une des plus jeunes doyennes d'université de Londres et ce titre lui allait bien. Elle voulait garder son avance, elle souhaitait plus que tout réussir, imaginant la fierté de James s'il avait pu apprendre cette nouvelle. Barth' avait quant à lui une mission bien complexe, s'étant présenté pour devenir maire de Londres. C'était une période qui avait beaucoup aidé Nora dans un sens, puisque c'était pour elle une bonne occupation, quelque chose de positif dans laquelle elle pouvait se plonger. Elle avait alors un peu redécouvert Bruss, qui était toujours aussi laconique mais à la fois présent. Pourtant, elle n'arrivait pas à se laisser aller, faisant son deuil dans son coin, recouvrant de ses plaies en silence. Son petit trésor qu'était Alice était aussi devenu sa lumière, celle pour qui elle ne pourrait jamais laisser tomber.
L'aventure électorale avait fini par arriver à son terme et elle avait pu être célébrée en grandes pompes. Un sourire de joie, une vraie joie, s'était alors dessiné pour la première fois depuis longtemps sur le visage de la jeune femme.
Oui, il y avait eu des hauts et des bas, mais Nora était prête à tout affronter. Dans son bureau de doyenne, elle gardait une maîtrise incroyable et ses déplacements dans les couloirs de Millenium étaient toujours très remarqués. Elle avait très souvent ses meilleurs amis au téléphone et leurs dîners ressemblaient presque à des réunions au sommet. Il leur arrivait de s'en amuser, tout comme ils devaient essuyer de nombreuses critiques sur cette amitié qui pouvait sembler douteuse pour le citoyen lambda. Pourtant, s'ils savaient à quel point Nora pouvait ennuyer le maire de Londres en lui parlant de ses choix et des besoins de l'université, ils se rétracteraient certainement. Après tout, elle n'avait pas perdu de ce petit ascendant qu'elle avait sur ses aînées, ce côté petite princesse ne l'avait pas quitté et il lui arrivait souvent de raccrocher avec un sourire en coin après une discussion avec ses meilleurs amis.
Nora contrôle toujours sa vie, la posture droite, la démarche fière. Elle cache un malaise insondable tout au fond de son cœur et évite d'y penser pour toujours suivre son cap. Sa merveille, haute de ses 3 ans et demi, l'aide à surmonter la noirceur de son cœur, celui qui doit encore être réconforté pour que Nora retrouve la vraie douceur de sa vie.