« Anything that can possibly go wrong, does. » -
Murphy's law.
Vous connaissez ?PREMIERE PARTIE.- Je ne sais pas si c’est parce que je porte ce nom que cette loi me définit parfaitement, ou si c’est parce que cette loi me définit parfaitement que je porte ce nom.
Il hausse un sourcil, je continue.
- Bon je t’explique. En fait, ma mère a eu quelques… Complications durant la gestati.. Enfin je veux dire la grossesse (déformation « professionnelle »). Par conséquent, avec mon père, ils se sont dit que ce serait drôle de m’appeler comme ça.
Pas de réaction de sa part, je toussote et reprend.
- Enfin, toujours est-il que je suis parfois légèrement maladroite… Donc…
- Donc finalement tu portes bien ton nom.
- C’est ça !
Il hoche la tête et porte son verre de bière à ses lèvres. Comme je ne quitte pas son visage des yeux, il détourne les siens et ses joues s’empourprent.
- Tu es un peu…
Il me fusille du regard, semblant avoir deviné ce que j’allais dire. Ignorant sa réaction, je finis ma phrase avec une once d'impertinence.
- …Timide ?
- Et ce n’est pas ton cas visiblement.
Bien joué Murph, il est vexé.
- Mais je disais ça gentiment… Je n’ai pas dit que ça ne me plaisait pas…
Un petit sourire nait sur ses lèvres. Quant à moi, je sirote ma grenadine, je joue avec une de mes bagues, perdue dans mes pensées. D’après mon estimation, il mesure environ une vingtaine de centimètres de plus que moi. Malgré sa grande taille, me dépasser n’est pas forcément une chose très compliquée pour lui (ou pour quiconque)… Je ne suis vraiment pas très grande, mais croyez-moi, 1m65 de maladresse suffît amplement !
Une fois mon verre vide, je relève la tête vers lui pour lui demander :
- Tu viens d’où ?
- Du Wyoming, et toi ?
- Oh ! Tu es Américain ?! Mais tu n’as pas d’accent !
- Je suis en Angleterre depuis mes 10 ans.
- Tu es un vrai-faux Cow Boy en fait ! Tu montes à cheval ?
- Ça m’est arrivé. Plus rarement ici…
- Tu auras qu’à venir monter avec moi... Ou sur m..
- …Vous désirez autre chose ?
Je commande un shoot de Vodka et attends qu’elle revienne avec pour continuer.
- Moi je suis née à Paris, mais je suis anglaise. Mes parents étaient simplement en voyage.
- La ville lumière, y’a-t-il une plus merveilleuse place au monde pour voir le jour ?
Je craque. En plus d’être beau, il semble intelligent, ou au moins un peu poète, ce qui me convient également. Cartésienne, adepte de sciences et de concret, j'ai beaucoup de mal à laisser mon esprit être créatif... La créativité, faute d'en être pourvue, je l'apprécie chez les autres.
- J'aimerais beaucoup retourner en France...
- Une sorte de retour aux sources ?
- Oui, renouer avec ma vraie nature !
- Qui est... ?
- Eh bien, parisienne !
Il ricane, amusé.
- Et c'est quoi,
être parisienne ?
- Je ne sais pas... J'imagine que c'est... Être en vie ! Profiter !
- Tu idéalises un peu, non ?
- Je préfère dire que je "rêve", c'est moins péjoratif.
Il acquiesce, je reprends :
- Et toi, la bouse de bison ne te manques pas ?
- Quelle mesquinerie !
- Je préfère dire... taquinerie !
- Dans tous les cas, t'es un peu chiante.
- Je plaide coupable...
-
Je n’ai pas dit que ça ne me plaisait pasJe bois cul sec ma vodka et lui lance un regard grivois.
- On va chez moi ?
Il finit son verre, se lève sans un mot et me tend la main pour m’aider à me relever. Je pause ma petite paume dans la sienne et part avec lui traverser les rues noires de Londres jusqu’à mon appartement.
SECONDE PARTIE.Ses petits gémissements me font ouvrir les yeux ; Me tournant vers elle silencieusement, je pose mes prunelles sur sa peau blanche d'anglaise. Elle ne fait pas attention à moi et s’étire, puis sort de ses draps, nue. La vision de ses courbes me fit frissonner, réminiscence de la nuit que nous avons partagé.
Ses longs cheveux blonds tombent sur ses fines hanches, ondulant au rythme de ses pas. Elle est mince, -pour ne pas dire maigre-, le parquet ne couine pas sous ses minuscules pieds. Quelques mètres lui suffissent pour sortir de mon champ de vision. Mes paupières se referment lorsque j’entends la douche, je suis trop las pour aller la rejoindre.
- Je dois aller en cours, je te laisse. Tu claques la porte en partant ?
Sa voix cristalline me tire de mon sommeil. Son visage est à seulement quelques centimètres du miens. Ses fines lèvres légèrement rosées appellent aux baisers, je résiste et plonge mon regard dans ses grands yeux bleus. Elle me sourit et se retourne gracieusement. Une douce odeur de fleurs vient alors chatouiller mes narines. Son gel douche ? Son parfum ? Je ne saurais pas le dire.
- J’ai fait du café !
Sa phrase à peine finie, je l’entends partir. Elle est déjà loin, mais je ne peux pas m'empêcher de murmurer, pour le café, pour son appart', pour son corps :
-Merci...
Quelques heures plus tard, elle n'est toujours pas revenue. Moi je viens de me réveiller, j'ai une tasse de café froid (et donc mauvais) dans la main droite. Je parcours son petit logement à la recherche d'indices sur l'identité de Murphy.
Sur ses murs, je vois un tableau périodique, quelques dessins, quelques photos ; le tout est négligemment scotché, ce qui ne m'étonne pas d'elle. Il y a un croquis de cheval, des paysages lointains -où elle figure parfois, des parents, un chien avec la version enfant d'elle dans les rues de Londres -probablement une dizaine d'année auparavant... Puis j'y trouve un certain mal être, un sentiment d’intrusion, d'indiscrétion... tout ça me confirme ce que j'imaginais d'elle, et ce que je sais de moi.
J'hésite à laisser un mot en partant. Trop banal, ce n'est pas
ce genre de fille. J'hésite à ne rien laisser. Trop grossier, je ne suis pas
ce genre de mec.
Une idée me traverse l'esprit. Rapidement, je parcours son placard à musique. Je suis surpris d'y découvrir du classique, cette fille est décidément étonnante. Une fois mon choix effectué, j'allume son lecteur CD, baisse le volume pour ne pas déranger l'immeuble et règle "Piano Sonata No. 14, de Beethoven" en boucle.
La marche funèbre, notre séparation, la fougue de notre nuit, l'amour de Beethoven pour la comtesse.- See you...
TROISIEME PARTIE.J’ai du mal à me concentrer sur mes cours aujourd’hui. Le manque de sommeil me fait bailler toutes les 30 secondes ; le prof me lance des regards réprobateurs. Je lui tire la langue quand il tourne le dos.
- Murph’, ça va ?
Ma binôme s’inquiète. Pour moi ? Non. Pour notre note commune. Je fais des bêtises qu’elle rattrape tant bien que mal en poussant plus de soupirs que tous les prisonniers de Venise réunis. Si je continue, je vais nous faire rater toutes les expériences.
- Murph', merde ! Concentre-toi !
Sa voix, je m’en fiche. Je n'aurai pas de mal à rattraper une mauvaise note. Je me contre fout de la haine qu’elle me vouera dès la fin de l’heure. Je n’ai pas d’amies, ni d’amis. Ça ne manque pas à mon esprit solitaire. J’ai l’impression de ne savoir aimer que les gens de passage dans ma vie, les inconnus. Je ne m'en plains pas, je ne suis pas du genre à geindre sur mon sort. Et puis comment pourrais-je pleurnicher ? J'ai toujours eu tout ce dont j'avais besoin.
Péniblement, l’heure du déjeuner arrive. J’avais prévu de rejoindre ma mère pour déjeuner avec elle en centre-ville.
- BONJOUR MA PETITE MURPHY !
- Coucou m’man
On choisit nos plats, on commence à manger et au fil de la discussion, je sors enfin de mon brouillard et retrouve ma joie de vivre habituelle. Ma mère est bien habillée, comme tous les jours. C'est une belle femme pour son âge. Il faut dire que l'argent, c'est un peu comme l'acide : ça aide à conserver la viande.
Les sujets défilent, puis vient la question fatidique :
- Comment ça va les cours ?
- Bien, j’ai validé mon semestre !
- Pourquoi tu ne nous as rien dit ma chérie ? On s’inquiétait avec papa !
Pourquoi je n’ai rien dit ? Parce que vous le saviez déjà. Je suis une bonne élève, j’ai toujours validé la totalité de mes examens depuis que je suis scolarisée.
Mes parents, à l’inverse de moi, sont du genre stressés. Du coup, ils stressent pour moi.
- Je suis si soulagée...
- J’appellerai papa dans la soirée pour lui dire, il sera content aussi.
Depuis que je suis en âge d’aller à l’école, je fréquente les meilleurs établissements de Londres, et mes notes sont excellentes. Je travaille, mais je ne me foule pas trop. Tout a été toujours très facile pour moi. Maman et papa ont les moyens, les contacts, les pistons, les bons plans. Actuellement, je suis en 4ème année à la Millenium University. Non pas parce que j’ai envie d’exceller en tout, mais parce que mes géniteurs ont des grandes ambitions en ce qui concerne MON avenir.
Pour ma part, j'imagine les choses à quelques détails près de la même façon qu'eux. Quand je serais grande (autant dire jamais), je me vois bien chercheuse. Non seulement parce que je trouve que la blouse blanche est assez saillante sur les femmes, mais surtout parce que, en bonne curieuse, j'ai envie de faire ce que j'ai toujours aimé faire : Chercher, Savoir.
Quand il a fallu trouver le domaine dans lequel j'allais chercher, j'ai tout de suite montré que je serais une très bonne professionnelle :
80% en 7 jours : J'ai choisi la biologie. Avant d'utiliser son cerveau pour en faire autre chose, il faut bien le fabriquer.
Les 20% restants, je les choisirai plus tard... Quand je devrais me trouver un sujet de thèse.
Maman part payer et me rejoins à la sortie du restaurant. Au moment de se séparer, elle m'embrasse et me dit d'un ton suppliant :
- C'est l'anniversaire de Granny dimanche. Tu n'as pas oublié ma puce ?
- Non maman, je n'ai pas oublié.
Je n'oublie rien.
- Prend soin de toi, tu as mauvaise mine.
Et, comme si elle trouvait ça tout à fait pertinent comme phrase finale, elle repart comme elle est apparue : Gracieusement et rapidement.
QUATRIÈME PARTIEJe rentre chez moi, il y a de la musique, et pourtant, il n'y a plus personne.
-Quel drôle de type.
Je m'effondre sur mon lit et profite de la mélodie. Je suis heureuse, calme, sereine, grisée... Je suis probablement la seule que Beethoven attendait ce soir là, en Angleterre.