Ne sommes-nous donc pas amis d’enfance ? Lorsque je te pose la question, tu te contentes de me regarder placidement de tes prunelles bleues charrette, puis tu te détournes. Tu m’ignores. Il m’est souvent arrivé de croire que tu étais simplement gêné par ce fait, que ça t’embarrassait de parler de ça, puisque tu es plutôt timide bien que tu ne l’admets pas. Je me suis raccroché à ce mince espoir, priant pour que tu t’ouvres à moi, un beau jour. Contrairement à toi, Exa, je ne suis pas très réaliste. Je rêvasse pendant que tu gardes pieds sur terre.
Comment ai-je pu croire que tu cesserais de me regarder hautainement ? De me balancer des livres à la figure lorsque tu me trouves trop bruyant ? D’élever la voix contre moi lorsque je deviens trop collant ? Auparavant, cela ne te gênait pas, tu as toujours été très calme comparé à la pile électrique que je suis, mais tu ne m’avais jamais repoussé. Je dois bien avouer que je ne te reconnais plus depuis que tu es revenu, mais tu restes mon ami d’enfance et rien ne pourra briser ce lien ! Peu importe à quel point tu t’entêtes – car tu es très obstiné -, je ne cèderais pas.
Tu n’es pas très patient, tu détestes qu’on te fasse attendre, tu t’énerves si facilement ! Oh, j’ai pu le constater à mainte et mainte reprises. Qu’est-ce que tu deviens bruyant à ton tour, dans ces moments-là ! Incapable de gérer ta colère. Heureusement, tu n’en deviens pas violent pour autant – si on met de côté le fait que tu balances tous les petits objets qui te tombe sous la main. Récemment, j’ai appris qu’il en fallait peu pour te calmer : une longue caresse dans les cheveux et tu recouvres ta sérénité. Bien entendu, tu refuses de l’admettre…
En plus d’être une sacrée tête de mule, tu as aussi un égo surdimensionné ! Ta fierté « t’empêche » d’être à 100% honnête envers toi-même et il t’arrive d’être incapable de t’excuser quand bien même la faute est définitivement tienne. D’ailleurs, je ne comprends pas vraiment pourquoi tu es aussi … narcissique. Il est vrai que tu as un physique plutôt avantageux, avec tes cheveux bruns qui font ressortir tes prunelles bleues charrette, ton visage fin et mignon, ta taille fine et élancée, ton joli mètre soixante-dix-sept, mais ça ne vaut pas un narcissisme pareil. Si ?
J’ai beau essayé de te comprendre, tu ne m’en laisses pas vraiment l’occasion. Tu es fermé comme une huitre et la force demandée à ton ouverture est plutôt colossale. Je n’ai pas tant de force mais j’espère de tout cœur que quelqu’un l’aura. Si tu ne veux pas parler de quelque chose, il faut t’y forcer et ce n’est pas une mince affaire que d’y réussir. Sans oublier que tu le dis clairement lorsque quelque chose – ou quelqu’un – te déplaît. Enfin, j’imagine qu’il me manque beaucoup d’éléments pour te comprendre.
▬ Ça fait combien de temps que tu n’es pas revenu ici, Exa ?
Il n’en savait rien. Il ne gardait que peu de souvenirs de son enfance et c’est à Londres qu’il l’avait majoritairement passé. Après plusieurs années – aux alentours de dix -, il revenait enfin au bercail. Exa tourna la tête vers son aîné de trois ans, ressentant au fond de lui une pointe de jalousie envers ce mâle dominant qui n’avait pas besoin d’ouvrir la bouche pour se faire respecter contrairement à lui. Un mince sourire étira toutefois ses lèvres et il se détourna de cette vision. Son frère avait bien changé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, cinq ans auparavant.
▬ Tu vas voir, la vie à Londres va beaucoup te plaire. Je veux dire, plus qu’avant !
Un léger ricanement se fit ouïr de la part du plus jeune. Son frère, Caïn, était surexcité depuis qu’Exa avait accepté de venir habiter chez lui, délaissant ses parents en France qui ne tarderaient pas à divorcer – facile d’imaginer l’ambiance à la maison. Voulant le mieux pour son cadet, Caïn avait réussi à convaincre Exa de revenir en Angleterre et d’y poursuivre ses études. Bien entendu, il irait étudier à la Millenium University. Caïn avait quitté la maison à ses dix-huit ans, bien que malheureux d’y laisser son jeune frère tout en promettant de le prendre avec lui dès qu’il le pourrait et il avait tenu sa promesse.
Exa n’en voulait pas à son frère de l’avoir abandonné – car, justement, il ne voyait pas cela de cet œil -, sachant pertinemment et ce même du haut de ses (à l’époque) quinze ans qu’il l’avait fait pour lui assurer un avenir paisible, loin de ces problèmes familiaux stupides. Si leurs parents ne s’aimaient plus, et passaient leur temps à se disputer, pourquoi ne pas simplement se séparer ? Lorsqu’ils avaient décidé de partir vivre en France, ils redonnaient une chance à leur couple. Autant dire que chacune de leur tentative avait lamentablement échoué.
Oui, Exa grandit dans cet environnement conflictuel qui l’avait, au final, poussé à n’aimer que lui. Il ne voulait pas se soucier d’une autre personne au point de devoir se plier en quatre pour elle, surtout lorsque c’était pour finir par jeter tous ses efforts à la poubelle. Solitaire, il n’était pas dérangé par le fait de ne pas avoir d’amis et ses parents ne le remarquèrent même pas. Il se débrouillait très bien tout seul et se mit à aimer tout particulièrement le calme. Exa a donc choisi la voie des activités calmes. La lecture, jouer d’un instrument (oui c’est calme), la cuisine et, bien entendu, la photographie qui le passionne.
▬ Vu que tu débutes tes cours demain, j'pourrais t'aider à déballer tes affaires. Puis, tu m'diras ton emploi du temps, qu'on puisse se prévoir des trucs, de temps en temps. Hein ?
Exa comprit que son frère voulait surtout savoir s’il comptait simplement occuper une partie de son appartement ou reprendre leur relation de frère là où ils l'avaient laissé, rattraper le temps perdu, tout ça. Il eut un sourire et il tapota amicalement l’épaule de son frère. Bien qu’il ait décidé de n’aimer que sa propre personne, Caïn était une exception.
▬ C'est toi qui travaille, c'est à toi de me donner des horaires. L'école ne me prend pas tant de temps que ça, grand-frère.
Difficile à croire, mais Exa sait faire preuve d’affection !
En bref, à vingt ans, il est débarrassé de ses parents qui l’ont rendu narcissique et vit à présent avec son frère qui le rend plus « humain » et étudie la photographie à l'université. Bon, évidemment, il a choisi Millenium parce que - d'après son frère qui y a lui-même étudié avant de se trouver un chouette job - c'est la meilleure qui soit. Et, pour le meilleur des meilleurs... C'est un bel endroit, pas vrai ?